La forêt disparue

Pyrénées enneigées au soleil couchant

Le plateau de Parme est décidément bien convoité. Depuis 1922, date à laquelle le conseil général des Basses Pyrénées a acquis 29 hectares, l’aérodrome de Biarritz Parme (en grande partie sur le territoire d’Anglet) a occupé de plus en plus d’espace. La piste mesurait à l’origine 550 mètres, elle est aujourd’hui quatre fois plus longue, 2250 mètres et, pour des questions d’emprise, elle ne pourra excéder 2 500 mètres, ce qui limite l’éventail d’avions susceptibles d’atterrir. Depuis le 1er juillet 2008, le syndicat mixte pour l’aménagement et l’exploitation de l’aéroport est devenu propriétaire de la ferme Mauléon et du terrain attenant. Il anticipait l’augmentation du trafic portuaire qui, depuis 2016, dépasse le million de passagers, et il prévoyait d’améliorer la sécurisation du site. A chaque fois qu’un avion apparaît à l’horizon et s’apprête à atterrir, des gardes parcourent en voiture la voie périphérique qui longe le grillage et  surveillent les alentours. Aujourd’hui, il y avait même deux chiens dressés qui couraient à côté. Pour leur ménager une meilleure visibilité, le syndicat, s’appuyant sur la législation (le Code de l’aviation civile et la réglementation européenne), a ordonné la destruction de la ferme désaffectée et la coupe rase de la forêt sur une large bande de sécurité.

Moutarde sauvage (Sanve, Ravenelle, Sénevé, Sinapis arvensis)

En 2015, c’était chose faite, malgré les protestations des associations de défense du patrimoine et celle des riverains mis devant le fait accompli. Leurs arguments portaient sur l’ancienneté de la ferme (15e-16e siècle), considérée comme un élément important du patrimoine rural d’Anglet, des vestiges archéologiques qui allaient disparaître, la protection sonore qu’offrait la forêt et l’habitat qu’elle constituait pour les oiseaux nicheurs. Personnellement, je regrettais en plus la disparition de vieux arbres qui, du point de vue écologique, sont beaucoup plus riches que les jeunes, ainsi que l’écran olfactif qu’ils constituaient, les gaz d’échappement des avions s’écoulant désormais plus facilement le long de la pente et venant empuantir parfois l’air de mon jardin (sans parler de la pollution).

Véronique en fleurs et lamiers non fleuris (Identification Élodie L.)

Pour mettre en perspective cette nouvelle destruction d’un espace naturel, il faut bien se rendre compte que cela fait une cinquantaine d’années que l’aire de cette forêt angloye se réduit comme une peau de chagrin: lotissements, université de Montaury, campus, zone d’activité des landes de Juzan, terrain de cross pour les vélos BMX en sous-bois -, sans oublier le terrain de sport de Girouette. Avant 2012, on chassait pourtant encore dans le petit bois situé derrière le lycée Cantau, du côté de la Tour de Lannes. Il y avait même des palombières dans le bosquet de l’autre côté de la piste de l’aéroport. Aujourd’hui, suite à l’urbanisation et l’aménagement des sentiers de promenade, la réserve de chasse angloye a beaucoup diminué, les chasseurs sont désormais cantonnés dans 80 des 221 hectares du Pignada. – Pourtant, il me semble encore entendre, la saison venue, quelques coups de feu tirés par un ou des irréductibles qui bravent l’interdiction aux environs de la Tour de Lannes -.

Anglet, carte de Cassini

Pourquoi ce rappel historique sur une page consacrée à « Anglet sauvage » ? C’est que la restauration d’un environnement, c’est un peu comme celle d’une cathédrale. Faut-il revenir au temple érigé au tout début du christianisme ? Ou bien remonter à l’époque des églises romanes, ou encore au gothique, au gothique flamboyant, au baroque ? Comment décider, sur quels critères ? Je suis donc partie en quête de l’histoire de ce coin de nature angloye. J’ai trouvé un site fort intéressant qui compare sur une même page la carte (ou photo) actuelle d’un lieu avec une carte (ou photo) plus ancienne, le curseur se dédoublant pour mieux repérer les sites: c’est le Portail IGN (Institut national de l’information géographique et forestière). La plus ancienne source d’information que j’ai trouvée pour Anglet, c’est une carte de Cassini remontant au XVIIIe siècle. La première chose que je remarque, c’est l’excellente visibilité des cours d’eau et de leur vallon, et l’ampleur de la forêt de Chiberta. Il y a aussi cette vaste zone boisée qui va de Montaury à Quintaou et même au-delà. Ce sont les parties basses, demeurées longtemps inondables, au centre d’Anglet. On voit que les barthes sur la rive droite de la Nive sont dessinées de la même façon. Le secteur densément bâti se limite aux zones rouges de Bayonne et Saint-Esprit.

Anglet, carte d’état major

La carte d’état major dont on voit l’extrait ci-dessus correspondant à mon quartier a été établie dans la période 1820-1866. Là, ce qui apparaît beaucoup plus nettement, ce sont les chemins et ces nouvelles routes, la RN10, l’avenue de Biarritz, d’autres encore, ainsi que le « chemin de fer de Bayonne à Irun » (sic). La zone boisée de Chiberta semble s’être considérablement rétrécie, et les zones inondables, figurées en bleu-gris, également. Le château de Mauléon est indiqué à l’endroit où se trouve aujourd’hui l’aérodrome. La ferme Mauléon récemment démolie n’en était que le dernier vestige. Comme au XVIIIe siècle, aucune forêt n’est indiquée sur le plateau de Parme ni alentour. Les maisons apparaissent sur la carte, souvent à proximité de ces chemins noirs qui sillonnent le paysage encore incomplet.

Anglet, 1954

Passons maintenant à une carte de 1954. Avec la densification de l’habitat, le réseau routier s’est considérablement accru. Il demeure quelques chemins tracés en noir, mais la plupart se sont agrandis en routes au trait blanc bordé de noir. Remarquables également, ce sont les anciennes voies du BAB et du BLB, les tramways qui avaient été mis en place en 1877 et cessèrent leur activité à l’avènement des automobiles et des autobus dans ces années 50. Le moindre espace vert est désormais répertorié, mais, comme dans les cartes précédentes, aucune mention n’est faite des champs cultivés qui ne sont là que par défaut (ce qui n’est pas vert ou bleu). La photo aérienne ci-dessous, faite à la même date, permet de se rendre davantage compte de l’occupation réelle des sols où les friches ou flancs abrupts de collines sont boisés, le reste étant cultivé ou construit. Les zones inondables du centre d’Anglet ont été drainées, busées ou remblayées sans doute, puisqu’elles n’apparaissent plus. La piste de l’aéroport construite au début du siècle n’a pas encore la longueur actuelle.

Anglet, photo, 1954

Quels enseignements peut-on tirer de la comparaison de ces sources documentaires ? L’ancien moulin à vent présent sur la métairie de Bergouey du plateau de Parme, désigné aujourd’hui sous le nom de la Tour de Lannes, figurait  déjà sur la carte de Cassini. Bien évidemment, son fonctionnement nécessitait qu’il se dresse en un lieu dégagé, au milieu de champs cultivés. La mention des parties boisées sur les cartes d’Anglet n’apparaît qu’au moment où la pression immobilière débute, où l’emprise des deux villes voisines, Biarritz et surtout Bayonne, s’accroît. C’est aussi le passage à une densification du réseau routier qui montre la nécessité d’alimenter une population urbaine en forte augmentation, qui va de pair avec une plus grande occupation agricole des sols. La carte témoin de gauche de 2015 montre l’urbanisation presque complète des zones humides et des anciennes exploitations agricoles. L’extension de la ville s’est faite tentaculaire et la pression immobilière se poursuit désormais hors de la côte vers l’intérieur du Pays basque et le sud des Landes.

Jeune chêne

Alors, à quoi bon se préoccuper de la nature sauvage dans un monde aussi anthropisé ? C’est qu’elle a une propension à se régénérer et à reparaître, sitôt qu’on lui en laisse l’occasion. C’est ce que j’observe justement à la Tour de Lannes. Un pan de forêt a été coupé le long de l’aéroport, un espace qui, autrefois, était probablement cultivé dans l’enceinte du château de Mauléon, avec une partie forestière exploitée comme bois d’œuvre ou de chauffe. Que voit-on aujourd’hui ? A l’emplacement des arbres coupés dont les souches ont été broyées, une myriade de champignons est apparue quelques mois plus tard, ces décomposeurs de la lignine qui, avec l’aide des micro-organismes, ont rendu disponible toute cette matière organique pour les successeurs, restaurateurs de forêt.

Ronce

Quels sont-ils ? Les plantes de clairière, de friche et de lisière,  qui se développent sitôt que la lumière arrive plus aisément jusqu’au sol. Les ronces, par leur multiplication rapide (semis naturel des mûres ou marcottage des longs rameaux rampant sur le sol), forment un abri piquant aux jeunes arbres qui repoussent, les protégeant de la dent des herbivores de passage, sauvages ou domestiques. Elles sont aussi une source de nourriture très appréciée par de multiples insectes. Comme moi, les punaises adorent les mûres à la fin de l’été. Elles ne les quittent qu’à regret lorsque j’allonge la main pour m’en saisir. Apeurées, elles finissent par se laisser tomber, craignant de se faire avaler. En effet, les taillis de ronces sont aussi un refuge prisé des oiseaux qui réussissent à se faufiler entre les rameaux sans se piquer ni se retrouver embrochés !

Menthe

Je vois aussi la menthe de chez nous, aux feuilles duveteuses et au goût moins prononcé que la menthe poivrée par exemple. Je l’utilise toutefois pour parfumer mon thé vert, histoire de me téléporter, le temps d’une dégustation, au Maroc où chaque repas se terminait par cette boisson savoureuse, généreusement sucrée, qui ne troublait curieusement pas mon sommeil. Elle colonise rapidement les friches, de concert avec sa compagne l’ortie que l’on peut consommer en soupes. La lande (ajoncs, genêts à balai) se développe en milieu un peu plus sec, il y a aussi des graminées différentes de celles qui poussent dans mon jardin, ainsi qu’une grande diversité d’herbes dont j’ignore le nom. La moutarde sauvage (Sanve, Ravenelle, Sénevé, Sinapis arvensis) est intéressante, car elle a développé elle aussi des défenses contre les herbivores, non pas physiques (les épines), mais chimiques (son ingestion est mortelle pour le bétail). Cette crucifère (Brassicacée, de la famille des choux) est très mellifère et attire quantité d’insectes.


Graminée (Poacée, sétaire verte ?)

En traversant le bois, j’examine tristement le sol argileux bouleversé, modelé, tassé et recouvert de toiles pour les besoins des pratiquants de BMX. Comme les skaters, ils affectionnent les bosses qui leur procurent l’élan pour sauter en effectuant des figures acrobatiques. Les oiseaux n’en ont cure: du haut des grands arbres, ils chantent et se répondent. Passé la route, le bois continue dans un milieu humide de toute l’eau collectée en amont. C’est là le domaine des scolopendres (Asplenium scolopendrium) – la fougère, pas le mille-pattes ! -, avoisinant d’autres espèces comme la fougère femelle (Athyrium filix-femina).

Deux grandes scolopendres

Un tout petit peu plus haut s’étalent des parterres de ficaires en fleurs (Ficaria verna, Ficaria ranunculoides ou Ranunculus ficaria). Le soir venu, elles ferment leur corolle qu’elles tardent à ouvrir lors des petits matins gris. Je trouve une explication curieuse de ce phénomène. Des scientifiques, qui sont un peu cruels, ont empêché des ficaires de fermer leur corolle la nuit. Le fait de les arroser ne les a pas empêchées de se reproduire, ce n’est donc pas une protection contre l’humidité nocturne. Par contre, 11% des fleurs ont été mangées soit par des limaces soit par des chevreuils ; on sait par ailleurs que ces derniers consomment de 30 à 80% des fleurs des anémones des bois en dépit de leur toxicité. Ces résultats suggèrent donc un rôle de protection anti-herbivore dans la fermeture des fleurs la nuit, sachant que limaces et chevreuils sont surtout actifs de nuit. On peut penser que cet effet indirect serait une exaptation, un avantage évolutif procuré par un dispositif non a priori dédié à l’origine à cette fonction. La vie n’est-elle pas extraordinaire ?

Ficaires

Coucher de soleil au-dessus du plateau de Parme

La forêt disparue
Mot clé :

4 commentaires sur “La forêt disparue

  • 30 janvier 2019 à 9 h 29 min
    Permalink

    Toujours passionnant et tellement agréable à lire. Merci Cathy.

    Répondre
  • 30 janvier 2019 à 10 h 05 min
    Permalink

    on croirait y être! Merci Cathy

    Répondre
  • 30 janvier 2019 à 11 h 02 min
    Permalink

    Eh oui, la Tour de Lannes n’est plus ….
    Félicitations pour tes recherches et tes essais de persuader de protéger la nature davantage !

    Répondre
  • 31 janvier 2019 à 15 h 19 min
    Permalink

    merci Cathy pour cette envolée digne du Tupolef et Concorde réunis

    Répondre

Répondre à Camille Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *