Nature sauvage en ville
Des rapaces dans le ciel
Dans le ciel des villes de la côte basque planent plusieurs espèces d’oiseaux sauvages. Mouettes et goélands bien sûr, mais aussi milans royaux, milans noirs, faucons crécerelles… Ils sont la preuve vivante que, malgré l’urbanisation effrénée et son cortège de nuisances, il demeure une petite faune dont peuvent s’alimenter ces rapaces. D’autres petits prédateurs tournent et virent en quête de leur pitance: pies et corneilles le jour, chouette hulotte la nuit. Une nourriture suffisamment abondante et diversifiée est donc disponible toute l’année pour ces oiseaux. Elle se compose d’invertébrés (escargots et limaces, insectes, vers de terre…), d’œufs, d’oisillons, de petits mammifères (rongeurs, chauve-souris), d’amphibiens, ainsi que de graines, de fruits et de baies. Les chiens, et surtout les chats, exercent également une forte pression sur les petits mammifères et les oiseaux.
Une végétation en régression
La préservation de cette faune sauvage est intimement liée à celle de la végétation dont la présence en ville continue de se réduire avec la multiplication des lotissements sur des espaces autrefois naturels ou cultivés, la préférence de plus en plus généralisée pour des clôtures non végétales en limite de propriété, le remplacement des villas avec jardins par des immeubles qui occupent toute la surface disponible, l’augmentation du nombre de commerces et de locaux professionnels, l’accroissement de l’espace dédié à la circulation… Je prends pour exemple le quartier où j’habite : c’était autrefois une forêt de chênes mêlés à d’autres essences végétales. Aux petits matins d’automne, sur les flancs du plateau de Parme aplani depuis plus d’un siècle pour être converti en aérodrome, des coups de feu retentissaient encore au début des années 2000 à deux pas des habitations: des chasseurs venaient tirer sur les animaux qui s’étaient hasardés à découvert, inconscients du danger. D’autres anciens du quartier marquaient l’alternance des saisons en arpentant le sous-bois à la recherche des cèpes qui poussaient dans l’ombre fraîche sur l’humus nourricier.
Lorsque nous avons acheté notre maison en 1987, il n’y avait alors que deux lotissements et quelques maisons individuelles disséminées sur la pente. Mais les héritiers de la grande propriété qui subsistait sur ce versant nord ont continué à vendre, année après année, des lopins destinés à la construction. La forêt a été insidieusement rongée, les ruisseaux busés, et le biotope s’est appauvri. En outre, la communauté d’agglomération a récemment agrandi l’espace dédié à l’aéroport et exigé – pour des raisons réglementaires et de sécurité – la suppression des arbres jusqu’à une bonne distance à l’extérieur de la clôture grillagée. Au pied du plateau, le bois qui se prolongeait jusqu’au parc Montaury a aussi presque totalement disparu, tandis que le parc lui-même perdait de sa substance vitale en devenant un campus universitaire. Mais la vie est têtue, tout espace dégradé se voit recolonisé sitôt que cela devient possible par des plantes au développement rapide, locales ou étrangères invasives: ronces, herbes de la pampa, saules, frênes, acacias, bambous, renouée du Japon…
Un jardin expérimental
Observer sans (presque) intervenir
Depuis quelques années, je me livre à une expérimentation dans le jardin dont je dispose désormais librement – au bout de longues années de joutes conjugales (!). J’interviens le moins possible, j’y ai banni la tondeuse, je ne taille que parcimonieusement – et silencieusement avec des sécateurs – les haies nord et sud qui me séparent de mes plus proches voisins, et j’observe l’évolution de la nature sauvage qui se réinstalle. A qui veut bien l’entendre, j’explique que les herbes, contrairement aux arbustes et aux arbres, sont des végétaux non ligneux (sans tronc), dont les parties aériennes meurent chaque année. Elles germent à partir des graines ou bien elles repoussent grâce aux bulbes, rhizomes ou tubercules qui ont subsisté dans la terre durant l’hiver. Ensuite elles croissent, fleurissent et produisent de nouvelles graines, puis elles fanent et disparaissent jusqu’à l’année suivante.
Un fouillis très ordonné
Contrairement à ce que nombre de personnes imaginent, la végétation sauvage ne pousse pas au hasard. Sur une surface donnée, même restreinte à un seul mètre carré, une multitude d’espèces se développe simultanément ou successivement. Leur répartition dans le jardin est conditionnée non seulement par des critères physiques, comme la qualité du sol, le degré d’humidité, la quantité d’ensoleillement, mais également biologiques, certaines plantes émettant des substances nocives pour d’autres espèces. Comme ces critères évoluent au fil du temps, – les arbres croissent, leur ombre s’étend, de nouvelles espèces arrivent, les conditions météorologiques et climatiques changent… -, l’aire d’une espèce déterminée peut s’étendre, se déplacer ou s’amoindrir en fonction de la combinaison de tous ces facteurs et d’autres encore.
C’est très intéressant d’observer à quel point les plantes sauvages, dont les graines sont peut-être toutes uniformément réparties sur le terrain, ne poussent que dans des lieux où des conditions relativement précises sont réunies. Un parterre de marguerites ne repousse chaque année qu’à droite de l’entrée du jardin derrière l’arche odorante des abélias, tandis que le centranthe rouge se réserve la gauche au pied du forsythia et des thuyas. Quelques violettes percent à l’ombre de la maison sur l’allée nord, remplacées près de la terrasse par du trèfle qui pousse dans les interstices entre les croisillons de béton activement colonisés depuis que les voitures ne viennent plus se garer dessus.
Une épaisse couche de mousse tapisse chaque hiver une bonne moitié du jardin au sud-est jusqu’à la bordure d’arbres qui occulte les hauts bâtiments du lycée voisin. Dès l’allongement des jours, celle-ci se constelle de primevères, les bugles aux épis de fleurs bleu foncé s’installent un peu plus haut, puis les fraisiers des bois s’étalent en nappes denses, leurs stolons intimement entrelacés avec le fraisier des Indes (Duchesnea indica) aux gros fruits malheureusement insipides. A ce stade, la mousse a quasiment disparu. Au nord-est, le sol humide du sous-bois se couvre d’un épais tapis de ficaires dont les fleurs jaunes au revers brun se referment chaque soir. L’arum tacheté fait son apparition, ne conservant en juillet que l’axe du spadice avec dix à vingt baies hautement toxiques consommées uniquement – disait ma grand-mère – par les serpents (mais plus probablement par les limaces). Juste un peu plus haut se multiplient avec vigueur mes chers framboisiers dont les fruits font mes délices – au grand dam des punaises qui ne se laissent tomber qu’à regret à l’approche de mes doigts cueilleurs -.
Des animaux semeurs
Les animaux qui résident dans le jardin, le fréquentent ou le traversent, contribuent à la diversification de la végétation. Bien que j’extirpe régulièrement de ma petite prairie (ex-pelouse tondue) les jeunes pousses d’arbres (chêne, laurier sauce, noisetier, frêne, érable, châtaignier, palmier à chanvre…) qui sinon ne tarderaient pas à la convertir en bosquet, j’ai découvert un jour au fond du jardin, dans l’alignement des deux chênes, des érables et des lauriers sauce, un Mûrier blanc (Morus alba L.) à fruits noirs, une espèce d’arbre originaire de Chine qui fut largement cultivée en France car ses feuilles étaient l’aliment exclusif du ver à soie élevé dans les magnaneries. Il est maintenant planté par les municipalités comme espèce ornementale en bordure de chaussée ou de parking.
Chaque année en mai-juin, c’est quasiment l’émeute: tous les oiseaux du quartier se donnent le mot, convergent et s’abattent dessus pour se délecter de ses mûres juteuses. Alternant les plaisirs (particulièrement fauvettes, étourneaux, merles et grives), ils font aussi des incursions dans les jardins avoisinants pour y picorer les cerises et les prunes qui mûrissent à peu près en même temps. Régulièrement, j’entends de bruyants battements d’ailes et je me lance des paris à moi-même: « Tombera, tombera pas ? » Ce sont les pigeons qui, trop lourds pour ces rameaux excessivement souples, effectuent des rétablissements précaires.
Ne pas tondre la pelouse permet de faire des rencontres intéressantes, comme celle de ce phasme gaulois d’environ huit centimètres de longueur dont la couleur verte révèle qu’il s’agit d’un juvénile – il deviendra brun avec l’âge -. J’utilise le genre masculin, mais c’est nécessairement une femelle, puisque ces insectes se reproduisent par parthénogenèse, sans la contribution de mâles : les œufs pondus par chaque femelle à raison d’un à deux par jour donnent naissance uniquement à des femelles dans 99,99% des cas. Les phasmes ne se trouvent normalement pas dans les jardins. Ils ont une prédilection pour les milieux ombragés, lisières ou forêts, où croissent des plantes épineuses telles que les églantiers, ronciers, aubépines dont les feuilles sont à leur menu. Ainsi, ils ont parfaitement leur place auprès des framboisiers de mon jardin semi-sauvage, à l’ombre de sa frange arborée. Quelque temps auparavant, une congénère prenait sa pose favorite de brindille immobile un peu plus loin des arbres, sur une herbe juste devant la porte-fenêtre du salon.
Accompagner plutôt qu’aller contre
Lorsque nous avons décaissé une petite portion du jardin et fait construire un mur de soutènement en blocs de béton alvéolés emplis de terre, j’ai essayé durant plusieurs saisons d’y faire croître des géraniums. C’était une erreur ! Bien que cette façade de la maison soit orientée au sud, la situation de cette bande de terrain en contrebas et dans l’ombre de la haie de thuyas plantée par mes prédécesseurs, a pour conséquence que la pente est, à l’inverse, orientée au nord, humide et faiblement éclairée. De guerre lasse, j’ai fini par laisser la nature se débrouiller seule. Les fougères femelles ont prospéré, espèce typique de zone humide, occultant de leurs frondes vigoureuses les blocs disgracieux progressivement recouverts d’un joli revêtement de mousse et d’un entrelacs de lierre. Dans l’angle à l’abri de l’avant-toit, l’extrême sécheresse de la terre au contraire, et sa faible profondeur dans les blocs inférieurs, n’ont pas découragé la hièble qui y repousse chaque printemps, projetant vers la lumière ses longues hampes fleuries en juillet d’ombelles blanches qui se convertissent en baies noires le mois suivant.
Dernier arrivé, un noisetier a réussi à germer dans un bloc. Lorsque j’ai voulu l’en extirper, c’était déjà trop tard, ses racines s’étaient frayé un chemin dans un interstice et s’étaient fermement arrimées dans le talus. Je n’ai pas eu le cœur de l’en déloger… Il faut dire à ma décharge que jamais, au grand jamais, je n’ai réussi à récolter la moindre noisette dans les deux grands noisetiers qui poussent sous le plus vieux des deux chênes au fond du jardin. Un jour, j’ai compris: un commando de deux adorables écureuils au grand panache roux est venu cueillir en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, quelques pirouettes et deux-trois suspensions acrobatiques, l’intégralité des noisettes à peine mûres ! Du coup, je me suis dit qu’en laissant croître des noisetiers plus près de la maison, ils n’auraient peut-être pas le culot de s’y hasarder et me laisseraient quelques noisettes ?
Ma pelouse, devenue prairie, a peu à peu été colonisée par des lianes: lierre, liseron, chèvrefeuille, bryone, ronce, tamier, passiflore, clématite… J’observe leur invasion avec une curiosité un peu méfiante, car leur dynamisme n’est plus à démontrer. Si elles ne paraissent pas nuire aux herbes qui ploient toutefois un peu sous leur poids, et bien que je me réjouisse d’avoir enfin un tapis vert de lierre dans l’ombre épaisse des chênes et des lauriers sauce, si intense que rien n’y poussait auparavant, je surveille toutefois leur progression et je les extirpe des hortensias, azalées, lilas, ainsi que des jeunes arbres et arbustes qui pourraient en pâtir. Je ne permets de pousser à la ronce, seule liane hérissée d’épines, que dans les haies d’où jaillissent ses rameaux couverts de fruits, promesses de confitures délicieuses.
Quant au kiwi hybride que l’on m’a offert, théoriquement autofertile, il a longtemps végété. C’est également une liane que j’ai d’abord dirigée sur l’ancien fil d’étendage à linge. Mais cette plante se considère trop à l’ombre. Elle est originaire de Chine, et plus exactement de la province de Shaanxi, où se situe l’ancienne capitale Xi’an. Cette année, elle s’est mise à lancer de toutes parts des tiges à tête chercheuse qui partent à l’assaut des jeunes arbres alentour, un aulne, un prunier, un noisetier, un houx. Comme il s’agit d’espèces sauvages que j’ai laissé pousser près de la haie, je ne cherche pas à les prémunir à tout prix de cette invasion et je les trouve même pratiques pour lui servir de tuteurs vivants. Il faut juste que je veille à ce qu’il ne lance pas ses tentacules vers le pêcher de mon voisin, son érable ou son laurier cerise ! S’il donne des fruits, un jour prochain, ce sera peut-être compliqué pour les cueillir, mais j’aviserai en temps utile.
Modifier le regard
Posséder un jardin semi-sauvage, où les plantes cultivées poussent au milieu d’une flore naturelle, c’est s’attirer mille remarques, en premier lieu de la part de ses proches qui estiment que l’absence de tonte et de désherbage donne un aspect « sale », délaissé, négligé. Petite anecdote qui illustre le regard porté par les gens de l’extérieur. C’était pendant le confinement pour cause de Covid. Toutes les forces policières étaient déployées dans la ville pour faire appliquer la loi d’exception. Chaque jour, une fourgonnette de police montait la route jusqu’à l’aéroport. Alors que je travaillais chez moi à l’ordinateur, la porte en bois sombre de l’ancienne entrée grande ouverte afin de profiter un peu du beau temps, la fourgonnette est passée au ralenti dans notre impasse et j’ai senti le regard lourd et soupçonneux des quatre représentants des forces de l’ordre. Comme un voisin s’en allait derrière eux en voiture, ils sont partis à regret afin de libérer le passage.
Le lendemain, même manège, mais cette fois ils ont pilé devant chez moi, l’un d’eux est sorti du véhicule, le regard des trois autres tourné dans ma direction. Faisant l’innocente, j’ai quitté mon poste et je suis sortie sur le pas de ma porte pour demander s’il cherchait quelque chose. Rien qu’en me voyant, il s’est rasséréné. Il m’a dit (ce que je savais) qu’ils étaient passés la veille et que la porte d’entrée était également ouverte (!). Ils venaient sans doute d’une grande ville, peut-être de Paris, et ils avaient visiblement fait l’amalgame, « porte ouverte, pelouse non tondue, maison squattée par des individus peu recommandables »… Il faut croire que je leur ai inspiré confiance. Il ne s’est pas excusé de sa défiance ni de son questionnement intrusif, mais ils ne sont plus jamais revenus m’importuner.
Face ou dos à la rue
Depuis que j’ai fondé l’association Libre Cueillette pour la création et l’animation de jardins partagés, ainsi que la sensibilisation à la nature, j’ai profité du dépérissement de la haie plantée par mes prédécesseurs sur la façade ouest, côté rue, pour changer l’organisation de ce bout de jardin. Ainsi, depuis mon poste de travail sur la mezzanine, mon regard à travers la grande baie vitrée porte désormais non seulement sur le jardin, mais également au-delà de la chaussée, sur l’espace vert de la copropriété, – et parfois de magnifiques couchers de soleil qui embrasent les nuages. En jouant sur la hauteur des plantes bordant le trottoir, le bitume et les voitures garées sur le petit parking disparaissent peu à peu, et le parc arboré de la communauté devient une extension virtuellement continue de mon espace privé où j’observe à la jumelle les oiseaux et les manèges de mon ami l’écureuil. Ce n’est plus une haie en bordure de trottoir, mais un assortiment varié de plantes destinés à aviver les sens, avec des feuilles ou des fleurs odorantes, des fruits susceptibles d’être grappillés par les voisins, les rares passants de l’impasse ou par les oiseaux: laurier sauce, romarin, mûres du roncier que je laisse volontairement pousser dans l’abélia fleuri la moitié de l’année, prunes et mirabelles (lorsque les deux jeunes arbres auront grandi), fleurs de lavande, lierre, passiflore, chèvrefeuille…
J’ai à cœur d’offrir ce jardinet aux regards de mes voisins et des promeneurs, plutôt que de l’enfermer (et de m’enfermer moi-même) derrière un haut mur minéral ou végétal. Lorsque je me déplace dans la ville, à pied ou à vélo, j’adore observer les jardins des autres et il m’arrive parfois, discrètement, de prendre une petite bouture d’une plante qui me fait envie. Elle ne prend pas forcément, mais c’est tellement plus magique que d’aller l’acheter à la jardinerie ! Je rêve aussi depuis toujours d’avoir une façade couverte de végétation. Je trouve que c’est plus beau, cette couverture vivante change d’aspect selon la saison, elle constitue un isolant thermique et protège des intempéries. Un mur a pour effet de renvoyer la lumière, les sons et la chaleur, au contraire d’une façade végétalisée qui les absorbe et les estompe. Il en est de même pour les toits, les chaussées, les parkings : ils échauffent si bien l’air que les oiseaux planeurs utilisent la colonne d’air chaud qui s’élève au-dessus des villes pour prendre aisément de l’altitude. Une couverture végétale des murs permet aussi de les protéger de la corrosion de l’air marin qui endommage si vite les peintures sur la façade atlantique.
Je laisse donc grimper le lierre, j’ai tendu des fils pour permettre à la passiflore de s’accrocher et j’ai planté près de la porte une glycine qui a donné cette année sa première fleur. J’ai laissé pousser en même temps sur son tuteur la clématite et la passiflore qui contribuent à donner du volume à ce futur cadre végétal. Je sais que la glycine, quoique originaire du Japon, est coriace et ne craint rien de cette promiscuité. Très vite, les oiseaux sont venus explorer les lieux, mésanges et fauvettes y débusquent insectes et araignées, s’échappant à tire d’aile au moindre de mes mouvements juste derrière la baie vitrée. Dernièrement, j’ai aligné des petits pots de fleurs en terre cuite le long du trottoir, en partie pour occulter le muret bas dont la peinture s’écaille, mais aussi pour réjouir l’œil du passant. Cela dérange les chats du voisinage qui, venant la nuit chasser dans le jardin, font basculer les pots en franchissant le muret. Ils n’ont pas encore intégré leur présence, du coup, je les déplace pour libérer le passage, faute de pouvoir le leur interdire.
La goutte d’eau du colibri
Un incendie épouvantable ravageait la forêt amazonienne. Voyant passer le colibri, une goutte d’eau dans son bec, le jaguar lui demanda: « Quel innocent tu fais ! Penses-tu vraiment éteindre le feu avec aussi peu d’eau ? » Le colibri répondit: « J’apporte ma contribution à la hauteur de mes moyens. » J’adore cette histoire, car elle porte un message d’espoir, l’idée que, aussi petit et insignifiant que l’on soit, on peut agir. A sa faible mesure, mon jardin contribue par sa végétation à atténuer le réchauffement climatique, à capter le gaz carbonique, assainir l’air, l’enrichir d’oxygène et d’effluves parfumés, à capter l’eau de pluie et retenir son ruissellement. Il me régale de ses fruits, agrémente mes plats de ses condiments, me réjouit de sa beauté, tempère les chaleurs, abrite du vent, modère les froidures. La présence d’espèces végétales sauvages intimement mêlées aux plantes cultivées offre le gîte et le couvert à toute une faune diversifiée dont j’ignore la plupart du temps jusqu’à l’existence.
Lors de notre réunion annuelle, les voisins ont accepté dernièrement ma proposition de planter des arbres fruitiers sur l’espace commun afin de remplacer les peupliers et saules pleureurs abattus car leurs racines envahissaient les canalisations d’eau. J’avais également signalé l’intérêt de planter des buissons afin de freiner le ruissellement de l’eau de pluie sur l’herbe rase, tondue bien trop souvent à mon gré. Cela n’avait guère emporté l’adhésion, mais, en accordant plus d’attention à ce qu’il tondait, le président de la copropriété chargé de l’entretien de l’espace vert s’est mis à épargner les fleurs, laissant des parterres de plantes sauvages qui varient selon la saison, primevères, bugles, marguerites. Il a repéré sous un pin un massif de bruyère qu’il a décidé d’épargner, les laissant croître librement en buissons dont les myriades de fleurs roses réjouissent aujourd’hui la vue en ce mois de juillet. Ces petits gestes sont la preuve d’un changement de mentalité, d’une évolution du regard, certes lente, mais qui, j’espère, se généralisera progressivement dans la ville.