C’est un petit ensemble de quelques bâtiments tout neufs, lové dans un creux de vallon entre l’autoroute et l’école de Sutar. La circulation y parvient assourdie, sans recouvrir le chant des oiseaux perchés dans le bosquet attenant. La moitié a été financée par le COL (Comité ouvrier du logement) pour des habitants qui deviennent propriétaires de leur logement, l’autre par l’Office 64 de l’Habitat pour des familles en location. Une bonne partie de l’espace vert est commun : c’est là qu’a été réservé un emplacement pour un jardin partagé.
Dès l’origine, un petit noyau s’est formé entre des résidentes très désireuses de démarrer les travaux de jardinage collectif. D’abord reliées entre elles par un réseau WhatsApp, celui-ci s’est rapidement élargi aux autres habitants qui se sont manifestés lors des premières réunions du 3 et du 12 avril avec des représentantes de chaque organisme, puis à ceux qui se sont raccrochés au wagon, soit au moins une douzaine de personnes (plus des enfants).
Malgré les apparences, l’espace alloué est un grand bac constitué d’un cadre de bois, d’une bâche isolante et d’un drain recouvert de galets. En effet, les sondages du terrain ont révélé des traces d’hydrocarbures qui risquent de polluer les productions potagères. L’eau de pluie est emmagasinée dans une citerne enterrée juste à côté du jardin et extraite à l’aide d’une pompe manuelle. Si le réservoir est à sec, l’eau de la ville y supplée.
L’enthousiasme règne parmi les jardiniers en herbe. Dès la première animation de Libre Cueillette le vendredi 23 avril (dont le jour et l’horaire ont été fixés pour qu’il y ait un maximum de présents), les tâches ont été variées: examens des premiers semis faits sur les balcons ou les terrasses des résidents, étude de la qualité de la terre du jardin (plutôt argileuse), conseils pour l’amélioration de sa structure (apports de végétaux – prêle, ortie, fougère -, de déchets verts – compostage sur place -, broyat, terre végétale…). Les habitants s’organisent pour aller cueillir ensemble les végétaux dans des friches. L’un d’eux signale l’annonce de la vente d’un grand volume de terre végétale dans les parages.
La première plante est mise en terre: c’est une aubriète. Encombrant son balcon, une des résidentes a décidé de l’offrir à la communauté. Le genre Aubrieta a été dédié par le naturaliste Michel Adanson au peintre et dessinateur Claude Aubriet. De 1700 à 1702, ce dernier accompagna Joseph Pitton de Tournefort (1656-1708) au Moyen-Orient ; il fit les dessins de ses Éléments de botanique et les figures de son Voyage. En 1707, il succéda à Jean Joubert (1643–1707) comme peintre du Jardin du roi et continua la collection de dessins de plantes sur vélin commencée par Nicolas Robert (1614–1685).
Très vite, d’autres plantes viennent la rejoindre: fraisiers, pommes de terre et ail germés dans les cuisines et récupérés pour le jardin, romarin, etc. C’est alors que la question cruciale surgit : comment partager les futures récoltes ? Qui aura le droit d’en profiter ? Sonia et Cathy, fortes de leur expérience, conseillent de mettre un panneau (aimable, avec des petits dessins) pour afficher le règlement du jardin : on partage le travail, le temps, les frais… et, ensemble, les récoltes. Rapidement, les jardiniers comprennent qu’une association devra être fondée de façon à organiser harmonieusement cet espace commun.
Autre question: les animaux de compagnie. Comment les éduquer (de même que leurs maîtres) de façon à ce qu’aucune déjection ne vienne « s’égarer » dans le jardin ? Dans la semaine, une crotte de chien manifestement non tenu en laisse a été trouvée sur une plate-bande. Pour les chats, Sonia conseille une liste de plantes dont l’odeur est en principe répulsive et qu’il faudra installer rapidement.
Enfin, des composteurs sont livrés par Bil ta Garbi qui vient les installer et en explique l’usage. Seuls les propriétaires ont été prévenus et pas les locataires: un oubli des gestionnaires ? Peu importe ! Grâce à l’extraordinaire ambiance, la communication passe entre tous les jardiniers, et les échanges fusent sur le réseau WhatsApp. Par ce truchement, les animatrices sont même parfois sollicitées pour un conseil (à propos de semis, de plantation, de composteur et même de brûlure !). En effet, lorsque les orties ont été étalées, nous avons montré les bienfaits du plantain, une herbe sauvage dont la sève contenue dans les feuilles soulage les peaux endolories. Justement, il en pousse déjà naturellement le long du grillage en bordure du petit bois, et même au pied des jeunes arbres plantés sur l’espace encore terreux, dont le gazon commence à peine à percer.
En effet, c’est un avantage extraordinaire pour le jardin d’être placé non loin d’un espace plus sauvage. Tous les auxiliaires des jardiniers y résident et ils pourront intervenir le moment venu. En outre, même si le sol de la résidence a été très bouleversé par les travaux, cela peut être intéressant de voir ce qui pousse à côté pour se faire une idée du biotope. Prêle, fougère femelle sont les indices d’un milieu humide (normal pour un fond de vallon). Cela pourra être un atout, aux jardiniers d’apprendre à bien l’exploiter. En attendant, ils ne résistent pas à déjà mettre en terre les plants de tomates. Quelle hâte ! Et quelle faim d’expérimenter !
