Biodiversité: Les pucerons

Hervé Coves : La gestion holistique des pucerons (transcription de la vidéo, Cathy Constant-Elissagaray)

L’agronome Hervé Coves explique les cycles de vie des pucerons et comment leurs populations s’autorégulent quand nos cultures sont intégrées dans des systèmes naturels. Approche permaculture.

Comment assassinez-vous les pucerons ? Les coccinelles, le savon noir, les purins… Les capucines, non, car elles n’ont pas le même puceron que les salades, les framboisiers, etc. Il y a des pucerons spécialisés par famille de plantes. Il y a aussi des plantes qui tuent les pucerons.

Préambule

Aujourd’hui, nous sommes affectés par le réchauffement climatique. Il se traduit par une hausse du taux de CO2. En mai, il était supérieur à 400 ppm (parties par million) alors qu’il y a un siècle il n’atteignait que 300 ppm. 400 ppm, c’est le taux qui existait il y a 850 000 ans. A cette époque, il y avait déjà des plantes et des pucerons. En fait, lorsque les plantes à fleurs en étaient à leurs débuts, il y a 65 millions d’années, le taux de CO2 était de 1200 ppm, et les plantes étaient optimisées pour pousser dans ces conditions. Aujourd’hui, si l’on veut booster la croissance des plantes en serre, on augmente le taux de CO2 (à grande dépense d’énergie). Depuis 65 Ma, le taux de CO2 n’a cessé de décroître et les plantes ont dû développer des stratégies pour économiser leur énergie. En effet, la photosynthèse se produit par réaction de la lumière avec le gaz carbonique et l’eau. S’il y a moins de gaz carbonique, la production de sucre s’amoindrit. Une des solutions a été de réduire l’épaisseur des enveloppes cellulaires. Conséquence, les plantes devenaient plus exposées aux attaques de pucerons.

Évolution de la concentration de CO2 dans l’atmosphère

Une solution sucrée pour lutter contre le puceron

Les plantes ont donc trouvé une défense : lorsqu’elles perçoivent le danger, elles accroissent l’épaisseur cellulaire. Comment le détectent-elles ? Lorsque le puceron pique, il absorbe la sève élaborée qui contient des protéines et des sucres. Il assimile les premières et excrète l’excédent des sucres (que les fourmis viennent lécher). Une partie de ce liquide sucré s’écoule le long de la plante qui le capte. Elle sait ainsi qu’elle subit une attaque et réagit en commençant à épaissir en priorité les nouvelles feuilles. Ce faisant, elle dépense beaucoup d’énergie. Hervé Coves a testé qu’en vaporisant une plante d’une solution contenant 10 g/litre de sucres (fructose, glucose, tous les sucres contenus dans le miel) – c’est la concentration des excrétions des pucerons -, la plante réagit en épaississant les parois cellulaires. Il en est de même si elle subit une attaque de mildiou, d’oïdium, d’araignées ou d’acariens…

Donc, une solution sucrée permet de lutter contre les pucerons. Mais il ne faut pas le faire à mauvais escient. On peut le faire de façon préventive dans un endroit fragile (par exemple le coin le plus chaud de la serre). Il faut reproduire la pulvérisation après chaque pluie. Mais ce n’est pas la meilleure solution car les pucerons sont toujours là.

Restaurer la biodiversité

Prenons l’exemple des framboisiers. Ils sont hyper-sensibles à toutes les maladies. Les sauvages ne sont pas plus résistants que les cultivés, pourtant, en Haute Corrèze, les framboisiers sauvages ne sont pas malades, alors que dans la station expérimentale les framboisiers meurent au bout de 4 ans. En réalité, les framboisiers sauvages ne sont pas isolés, ils poussent avec d’autres plantes, le sureau, l’épilobe… Des relevés phytosociologiques ont été faits par le professeur Brice qui a réalisé une base de données comportant 4700 colonnes et 200 000 lignes. Un travail de toute une vie ! Il a fait des statistiques pour voir les associations des plantes. Celles qui ressortent pour le framboisier sont les mêmes que celles qui sont observées dans les chablis de Haute Corrèze. Chaque espèce héberge un puceron particulier, mais tous les pucerons ne se développent pas en même temps. Voici dans quel ordre ils apparaissent:

1) puceron de l’aspérule – 2) puceron du sureau – 3) puceron du framboisier – 4) puceron du sapin – 5) puceron de l’épilobe – 6) puceron de l’épicéa – 7) puceron du hêtre – 8) puceron du séneçon – 9) puceron de la fougère

Les auxiliaires qui se nourrissent de pucerons en ont ainsi toute l’année, ce qui leur permet de vivre en un lieu naturel. S’il manque une plante, les auxiliaires meurent. En Basse Corrèze, le sureau et l’aubépine ayant été supprimés, les pucerons se mettent à proliférer sur les framboisiers. Comprenant le phénomène, Hervé Coves a planté des sureaux à raison de 10 pour 3000 m². Au bout de deux mois, il a observé 30 syrphes (qui ressemblent à des guêpes et font un vol stationnaire), leurs larves dévorent les pucerons. Les 30 larves sont devenues adultes quand les framboisiers ont démarré et elles ont pondu dessus. Les larves ont ainsi dévoré les pucerons dès le démarrage de l’attaque.

Le mécanisme est le même pour la régulation des acariens, des cécidomyies, etc. L’expérience a été renouvelée ailleurs. Ce qui marche, c’est de remettre de la nature sauvage dans un endroit qui est cultivé. Au bout de quelque temps, un équilibre se fait, une régulation progressive. On n’est pas forcément obligé de mettre du sureau, ce qui compte, c’est de restaurer la biodiversité. Il ne faut pas désherber. Au contraire, ce sont les framboisiers qui poussaient le plus près de la haie qui ont été les plus beaux.

Les purins

Il y a d’autres façons de procéder. Qu’en est-il des purins d’ortie, de consoude, de prêle ? Cela marche plus ou moins, sans que l’on puisse bien expliquer ce qu’il se passe. Les syrphes, coccinelles, chrysopes, régulent les populations de pucerons. Quand on met du purin d’ortie, ce sont les polypodes qui viennent réguler les pucerons. Pourtant, les millepattes n’en mangent pas d’ordinaire ! Il y a beaucoup de vie au printemps, avec la floraison, et à l’automne, lorsque tout fane. Le millepattes sort le soir. Ses antennes très développées détectent les odeurs et il communique avec les odeurs. Il s’oriente vers les lieux où ça pue, car il se nourrit de collemboles qui prolifèrent sur les feuilles mortes. Si l’on asperge la plante de purin, elle a la même odeur, et donc le millepattes monte, trouve les pucerons et, comme il est opportuniste, il les mange. Dans la moitié du terrain qui n’a pas été traitée, le millepattes, qui a retenu la leçon, grimpe directement dans les framboisiers non aspergés pour y chasser les pucerons.

D’autres prédateurs sont attirés, le staphylin, le carabe, qui sont aussi normalement dans le sol. Donc le purin intervient comme un leurre, il ne tue pas mais amène plus de vie, ce qui engendre de nouvelles solutions, une nouvelle résilience sur la parcelle.

L’équilibre est en perpétuel chaos, la présence de pucerons augmente, l’énergie s’accroît, le millepattes se multiplie, nouveau déséquilibre, etc. Un équilibre n’est jamais stable, la vie fonctionne sur un déséquilibre perpétuel qui forme une dynamique. Pour avoir le meilleur résultat, il faut diversifier les plantes, les animaux, les sols – faire plusieurs composts avec des matériaux différents, accumuler des tas de bois, des tas de feuilles…). Si l’on crée des hétérogénéités, on obtient divers lieux et une plus grande stabilité. Le millepattes se nourrit de collemboles qui mangent de la matière en décomposition dégradée par des champignons. Il y a autant de variations que d’espèces de bois. Par exemple, dans la forêt vierge, il y a une très grande diversité d’un hectare à l’autre. En France, nous avons 4800 sortes de plantes, en Amazonie, c’est la quantité pour un petit espace, et il y a beaucoup plus d’espèces. L’hétérogénéité varie aussi avec les stades (si l’on coupe un arbre, on crée une clairière avec la pousse de beaucoup de jeunes plants).

Au lieu de purin, on peut asperger d’un liquide qui sente bon. Au moment de la floraison, on peut asperger avec une tisane de lavande, de labiée. Cela attire les insectes pollinisateurs, mais aussi les prédateurs des pollinisateurs. S’il y a des pucerons sur les plantes aspergées, les prédateurs, opportunistes, vont les manger. – C’est quand même mieux que les framboises ne sentent pas le purin ! – Il faut s’inspirer de ce que l’on voit autour de soi. A chaque saison, il y a des plantes différentes en fleurs. Ce sont celles du moment que l’on prélève pour en faire une tisane. Selon ce même processus, les prédateurs dévoreront les pucerons.

Ce n’est pas une technique biocide, mais biogène.

Chenille de la piéride du chou

Mélanger les cultures

Encore mieux, on peut mélanger les cultures. S’il y a beaucoup de choux, la piéride se développe. Son principal prédateur, c’est l’oiseau (un seul rouge-queue suffit). La bergeronnette a remarqué qu’il suffit qu’elle batte des ailes contre les framboisiers pour que les pucerons se laissent tomber sur le sol où elle n’a plus qu’à les becqueter. Si les plantes sont sous un tunnel, il faut penser à ménager des ouvertures sur les côtés pour que les oiseaux aient une issue pour s’enfuir, sinon ils ne pénètrent pas à l’intérieur.

Il y a aussi les insecticides, mais même les insecticides naturels consistent à anéantir la biodiversité installée sur le site. En plus les pucerons deviennent résistants aux insecticides.

La solution, ce n’est pas d’éliminer les pucerons, mais au contraire de les attirer pour nourrir les auxiliaires toute l’année afin d’éviter toute pullulation.

Idem pour les limaces, et en trois ans il n’y a plus de problème.

Accroître la vie dans le sol

Le phytophthora est une maladie du framboisier qui provoque la mort d’une parcelle en quelques mois. Pour qu’un champ soit rentable, il doit donner 6 tonnes à l’hectare. Le phytophthora est un champignon. Est-ce que le sol est trop humide ? En Haute Corrèze, des framboisiers poussent dans des tourbières, donc ce n’est pas la raison. En fait, les framboisiers poussent avec une mycorhize, en association avec le glomus qui se nourrit également partiellement de bois en décomposition. Hervé Coves a ajouté du bois sur la parcelle, le glomus a pu survivre et le phytophthora a décru. Les framboisiers sont devenus tolérants à cette présence pathogène au point que la production s’est accrue pour atteindre 18 tonnes à l’hectare ! La vie dans le sol est très importante. Le bois nourrit aussi le collembole, donc le millepattes, etc. C’est normal qu’il faille du bois, puisque le framboisier est forestier, il lui faut un sol similaire. Si l’on calcule la biomasse de champignons contenus dans le sol, elle est supérieure à celle des framboisiers. Pourquoi tant de champignons ? C’est une autre histoire…

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