Lorsque je pointe mon appareil photo sur ces bijoux multicolores, ces deux insectes sont en train de s’accoupler, mais ils surveillent en même temps les alentours. Ce sont des punaises; elles ont senti ma présence et courent de concert d’une tige à l’autre, l’une avançant, l’autre reculant, sans se lâcher pour autant. Elles se trouvent au jardin partagé de Lespès, sur un pied de moutarde. Le nom de leur espèce est la Punaise ornée, Eurydema ornata. Elle affectionne tout particulièrement les Brassicacées (crucifères) sauvages et cultivées dont elle se nourrit, comme les choux, navet, colza, moutarde, raifort, cresson…, mais on peut aussi la trouver sur des graminées ou de la pomme de terre.
Puer comme une punaise
Comme l’énorme majorité des membres du groupe des Hétéroptères, insectes dont les ailes supérieures forment des demi-élytres, la partie supérieure étant membraneuse, la partie inférieure coriace, la punaise possède une paire de glandes odorantes qui s’ouvrent par un minuscule orifice situé à la base de la troisième paire de pattes sous le thorax, une signature évolutive de ce groupe. Ces glandes secrètent un mélange complexe de dizaines de substances chimiques volatiles à base d’aldéhydes et des molécules complexes à base de carbone et d’hydrogène (alcènes, alcanes, …) dont l’odeur et la puissance varient d’une espèce à une autre, même s’il y a des points communs. C’est l’odeur désagréable associée qui vaut aux punaises leur nom, à partir de l’adjectif punais (dérivé de puer, putere en latin), peu usité, signifiant « qui sent mauvais ». Cette sécrétion odoriférante a un effet dissuasif sur certains prédateurs (dont les oiseaux) car elle communique à l’insecte un goût très désagréable. Elle peut même être un peu toxique voire mortelle vis-à-vis d’insectes prédateurs tels que les fourmis.
Une livrée chatoyante
Les couleurs vives et le comportement très voyant de la Punaise ornée, Eurydema ornata, prennent tout leur sens quand on les associe à cette odeur : elles constituent un signal dissuasif destiné aux prédateurs, une couleur d’alarme : « Pas la peine de me capturer, j’ai trop mauvais goût et vous allez le regretter » ! On appelle aposématisme (apo, au loin et semio, signal) ce recours à un signal visuel « fort », dissuasif envers les prédateurs, au moins pour une partie d’entre eux. Toutefois, des observations menées sur des merles noirs élevés en captivité montrent qu’ils peuvent apprendre à contourner cette défense chimique : ils avalent très rapidement la punaise Arlequin, également très colorée, avant qu’elle n’ait eu le temps de projeter son jet malodorant et âcre ou bien ils la frappent sur le fond de la cage jusqu’à ce qu’elle ait vidé tout son liquide ! D’autres études montrent que le comportement peut varier largement même entre espèces d’oiseaux très proches comme chez les mésanges où les unes n’y touchent pas du tout (comme les mésanges bleues) et d’autres… quand même un peu ! Si ces sécrétions glandulaires servent essentiellement à la défense, elles ont aussi un rôle hormonal (phéromones sexuelles ou d’agrégation). Notons que la mauvaise odeur de ces sécrétions n’est pas la règle, plusieurs en effet ne sont pas perceptibles par l’odorat humain, et les glandes odoriférantes de certaines espèces servent, en Asie du Sud-Est, de condiment!
Piqueur-suceur de sève et d’autres tissus
Ce terme désigne les insectes appartenant à l’ordre des Hémiptères – caractérisés par des ailes ou par des élytres courts – (pucerons, cochenilles, cigales…), dont les larves et les adultes ont la propriété d’être dotés d’un appareil buccal très spécialisé. Ils injectent à la piqûre une salive riche en éléments toxiques pour la plante. Une partie de ces insectes s’alimente essentiellement de la sève élaborée des plantes vasculaires. Ce sont d’une part les sternorrhynques (psylles, aleurodes, cochenilles et pucerons) et d’autre part les cicadomorphes (cicadelles au sens large et cigales). Chez ces insectes, le prélèvement de sève élaborée peut affaiblir la plante lors des explosions de population. S’y ajoutent des dégâts indirects liés à la toxicité de la salive injectée (nécroses et déformations) et à la transmission de maladies (virus, spiro- et mycoplasmes), une réduction de la photosynthèse (perturbation physiologique et masquage de la lumière), et l’excrétion massive de miellat (déjections sucrées) qui entraîne la prolifération de fumagines et des brûlures (effet loupe et fermentation) et déprécie beaucoup les fruits et légumes attaqués.
D’autres insectes piqueurs-suceurs prélèvent leurs nutriments à partir de tissus non conducteurs ; ils en aspirent les liquides après une action lytique de la salive injectée (destruction de la membrane cellulaire). Ce sont principalement les punaises (Hétéroptères) Pentatomidés (ex. Punaise verte Nezara viridula), Pyrrhocoridés (gendarme), Miridés ou Scutelleridés et les thrips (Thysanoptères).