Une prairie dans le jardin
Depuis des années, la pelouse bien tondue du jardin s’est convertie en prairie où, grâce à l’accomplissement du cycle complet de la végétation herbacée, j’observe la biodiversité qui augmente. J’avais planté deux framboisiers: ils se sont propagés naturellement et j’en compte plus de cinquante à me donner chaque jour en cette fin juin un grand bol de framboises. Je complète le dessert avec les fraises des bois qui poussent un peu plus loin. Leurs stolons sont intimement mêlés à ceux du Fraisier des Indes (Duchesnea indica) à la floraison jaune, introduit en Europe dès le XVIIe siècle comme plante décorative mais dont le fruit, certes très beau et volumineux, est parfaitement insipide malheureusement.
Une lisière forestière
Alors que je parcours lentement le jardin, l’œil aux aguets en quête de fruits savoureux, mes vêtements sont agrippés ici et là par des sphères légères, sèches et crochues. Ce sont les fruits (akènes) de la benoîte commune (Geum urbanum) réunis en capitules velus et globuleux, et prolongés de styles crochus facilitant la dispersion des semences. Autrefois, la forêt recouvrait les flancs du plateau de Parme où vient d’être récemment rénovée la piste de l’aérodrome de la côte basque. Mais au fur et à mesure que poussent les lotissements de villas et petits immeubles, celle-ci diminue comme une peau de chagrin. Plusieurs ruisseaux s’en écoulent, encore à l’air libre ou cachés dans des buses, ce qui a permis de sauver quelques arbres qui maintiennent leurs berges. C’est ainsi que j’ai la chance d’avoir en limite de propriété deux grands chênes, un érable, deux noisetiers et du laurier sauce qui procurent un effet de lisière et d’ambiance riveraine propice à la pousse de la benoîte. Les deux classifications EUNIS en lien fournissent deux listes différentes de plantes compagnes qui pourraient prospérer à ses côtés.
Des vertus médicinales
Les jeunes feuilles de la benoîte peuvent accompagner les salades et être cuites comme des légumes verts. Toutefois, c’est pour son rhizome (une portion souterraine de la tige qui lui sert de réserve alimentaire) que cette plante a longtemps été cultivée. Celui-ci contient de l’eugénol qui confère une saveur de clou de girofle aux plats en sauce ou dans les soupes. Dans le Nord, il entre dans la préparation de la bière, de vins aromatisés et de liqueurs aux propriétés digestives. En effet, cette plante est connue pour ses propriétés médicinales, d’où son nom de plante bénite qui fut plus tard dédiée à Saint Benoît: fébrifuge, digestive, tonique et astringente. Son rhizome amer sert de succédané au quinquina dont l’écorce contient de la quinine, fébrifuge et antipaludéen naturel.
Le Velcro, un exemple de bionique
Si la fleur de la benoîte commune est presque insignifiante, son fruit par contre ne peut pas être ignoré tant il s’agrippe énergiquement à tout ce qui l’effleure. C’est la galère ensuite pour extirper les styles crochus des mailles des vêtements. De nombreuses plantes adoptent cette stratégie pour assurer la dissémination des graines, spores ou fruits qui voyagent dans les phanères des animaux grâce à des crochets ou des aiguillons: on l’appelle la zoochorie. C’est le cas par exemple du gaillet gratteron (Galium aparine), de la Petite Bardane (Arctium minus), de l’aigremoine eupatoire (Agrimonia eupatoria). La grande Bardane (Arctium lappa) deviendra célèbre grâce à la sagacité de George de Mestral, un ingénieur électricien suisse qui est l’inventeur de systèmes de fixations mécaniques par crochets et boucles textile qui seront vendus sous la marque « Velcro » et que l’on appelle couramment des « scratch ». C’est un bon exemple de bionique, puisque il tire son modèle de la nature vivante.
Selon la légende, en 1941, de retour d’une partie de chasse dans les Alpes, il doit enlever quantité de fruits de bardane accrochés à ses vêtements et au pelage de son chien. Énervé, mais également intrigué, il observe le fruit au microscope et constate que les épines sont terminées par des crochets déformables. Ils se prennent dans les poils et les tissus à boucle et reviennent à leur forme initiale une fois arrachés à leur support. Cela lui donne l’idée de créer un type de fermeture rapide pour vêtement. Sur une bande de tissu, il implante des crochets déformables et sur une autre des boucles de fil. Les crochets se prennent dans les boucles et fixent ensemble les deux bandes. Conçu à l’origine en coton, le système s’avère insatisfaisant. Après plusieurs années de développement avec un professeur de l’ITF de Lyon, le nylon et le polyester remplacent le coton. Par apocope des mots « velours » et « crochet », il nomme son invention Velcro et dépose des brevets à partir du début des années 1950 (dépôt de la marque en 1952). Après la mise au point de la production industrielle, Mestral accorde des licences de production à des industriels dans divers pays dont les USA en 1958.
Le Velcro d’Apollo 1
En 1967, lors d’une répétition au sol en conditions réelles, un incendie se déclenche dans le module de commande d’Apollo 1: il provoquera la mort des trois astronautes qui composent son équipage. L’un des facteurs aggravant est imputé à la trop grande quantité de nylon présent dans la cabine sous forme de Velcro, de filets installés sous les couchettes et même dans les combinaisons spatiales. Au total, le module de commande de 6,17 m3 contenait plus de trente kilogrammes de matériaux inflammables dans cette atmosphère uniquement composée d’oxygène. A la pression de 16 PSI qui règne sur le pas de tir et pendant le décollage, le velcro brûle très rapidement, il explose littéralement ! Après ce drame, plus de 3000 tests seront réalisés sur plus de 500 matériaux différents et le nylon des tissus sera remplacé par la fibre Beta (pour le tissage de l’enveloppe extérieure des combinaisons spatiales), le téflon, le Nomex (pour le Velcro), la fibre de verre, l’Armalon (pour les couchettes). En 1968, les systèmes de fixation Velcro seront utilisés par Neil Armstrong et Buzz Aldrin pour leurs combinaisons, les sacs de collecte d’échantillons et les véhicules lunaires embarqués du programme Apollo d’exploration lunaire.