Le récit qui suit fait référence au chapitre (1.2.1.2.), « Tempêtes et sédiments », récemment inséré dans mon étude sur les conséquences locales du changement climatique (BAB 2050 – Climat).
Mon jardin est hanté. Hanté par des lutins. De petits plaisantins qui me jouent des farces, anodines certes, mais tout de même ! Ils prennent pour cible mon composteur, un lieu bien modeste que certains qualifieraient de poubelle, mais qui est doté de vertus que je trouve magiques: convertir mes déchets de cuisine en bonne terre brune, un miracle permanent qui ne cesse de m’émerveiller… Sauf… sauf qu’un lutin farceur s’y introduit régulièrement par un conduit souterrain, il bouleverse l’ordre des strates et trie ce qui l’intéresse. A-t-il eu envie un jour de jouer à la balle avec un noyau d’avocat ? Cette amande volumineuse, mais lisse et glissante, lui paraissait-elle appétissante ? A-t-elle échappé à sa prise alors qu’il la faisait rouler vers son antre ? Ou bien se l’est-il réservée comme le fait l’écureuil en l’enterrant dans une cachette sitôt oubliée ? Toujours est-il que j’ai désormais deux avocatiers qui poussent à l’extérieur du composteur. Je les imagine déjà, immenses, leurs troncs noueux et tortueux escaladés par mes arrière-petits enfants…
Dernièrement, j’ai eu la surprise de trouver le compost exposé aux intempéries, le couvercle basculé à l’arrière. J’ai d’abord soupçonné mon mari (mais jamais il ne s’occupe de ces corvées domestiques), puis mes lutins, mais je ne voyais vraiment pas l’utilité pour eux d’ôter le couvercle, quand bien même en eussent-ils été capables, puisqu’ils pénètrent à volonté par en-dessous. Réflexion faite et toutes autres solutions rapidement éliminées (les voisins, les élèves du lycée Cantau…), il ne restait plus que Justine ! Justine ? La tempête qui a déferlé sur l’Irlande mais dont nous avons eu quelques retombées ! Pourtant, le conteneur est en bas du jardin, bien à l’abri sous les branches du mûrier et d’un de mes deux chênes. Certes, tous deux sont dépouillés de leurs feuilles en cette saison, mais le vent ne bouscule habituellement que leurs cimes. C’est quand même bizarre…
Cela fait plus de trois décennies que nous habitons là, un temps appréciable qui m’a permis d’observer l’invisible. L’accès à l’ancien garage (converti depuis longtemps en pièce à vivre) se fait par une allée qui descend entre la façade nord de la maison et une haie-mur de thuya qui marque la frontière de mon royaume. Dans ce couloir, longtemps dégagé pour le passage des voitures, s’écoulait un air réfrigérant qui, à l’angle de la maison, bifurquait vers la terrasse, décourageant toute velléité d’y séjourner si ce n’est pour une partie de ping-pong ou la confection de grillades au barbecue. Lors de mes balades en montagne, j’ai eu la chance d’admirer ces mouvements d’air rendus visibles par la présence de nuages bas, cascades blanches évanescentes qui s’écroulaient en torrents silencieux le long des flancs escarpés. Eh bien en ville, il se produit un phénomène analogue !
Depuis que nos obligations professionnelles et parentales se sont amenuisées et que je n’ai plus besoin de décharger enfants et sacs de provisions de la voiture, nous avons peu à peu proscrit l’accès automobile dans le jardin. Seuls les deux-roues et les piétons peuvent désormais y pénétrer. L’entrée dépourvue de portail s’est transformée en arche odorante de forsythia et d’abélia, l’althéa aux branches raides, juste derrière, a pris du volume, un pêcher, des hortensias et un gros buisson au feuillage fin caduque et petites fleurs blanches ont envahi les bordures de part et d’autre de l’unique voie de pavés auto-bloquants (la seconde, faute d’être fréquentée, est désormais enfouie sous les herbes). Je laisse pousser le lierre et le chèvre-feuille sur le mur et je m’évertue à créer un épais coupe-vent à l’angle du bas, formé de plusieurs buissons enchevêtrés. Enfin, j’ai récupéré dans l’ancien jardin de ma belle-mère à Boé, près d’Agen, un figuier qui cherche la lumière en s’étirant vers le toit. Pour ne pas le perturber et provoquer une réaction de pousse forcenée, je ne le taille pas, mais je courbe les jeunes rameaux souples susceptibles de gêner le passage et les attache aux branches plus anciennes, comme si je le palissais contre un treillis virtuel. Il ne proteste pas. En quelques années, il a même formé une belle arche au-dessus du sentier. Le flux d’air froid est désormais si amoindri qu’un arbousier et une paire d’agrumes, oranger et citronnier, prospèrent en pleine terre devant la terrasse.
Pourquoi raconter tout cela ? C’est pour montrer l’incongruité de cet événement aussi infime qu’anodin (le couvercle rabattu du composteur), qui illustre et met en relief le caractère exceptionnel de ce vent qui a déferlé en ces derniers jours de janvier, franchissant sans les détruire tous les obstacles que j’avais patiemment dressés un à un. Ils l’ont tout de même suffisamment freiné pour qu’il ne fasse aucun dégât important : il a juste trouvé le défaut de la cuirasse de mon petit composteur, s’insérant sous le rebord du couvercle pour le projeter rageusement en arrière. Un voisin n’a pas eu cette chance: son chêne, grand et d’un âge vénérable, a été sauvagement renversé, alors qu’il était dépourvu de feuillage et n’offrait guère de prise. Dans une rue adjacente, un autre chêne a basculé, écrasant sous sa masse énorme une voiture malencontreusement garée dans l’axe de sa chute, le long d’un grillage.
La tempête n’est pas fautive, c’est nous qui sommes responsables de ces dérèglements: les maisons et petits immeubles ont poussé comme des champignons dans le quartier dont l’habitat ne cesse de se densifier, au détriment de la forêt originelle et des jardins. Fait aggravant, les pluies très abondantes depuis deux mois ont tellement imbibé la terre que les racines n’ont pu s’agripper au sol devenu trop meuble. Là aussi, nous sommes coupables: c’est la végétation qui rend possible la pénétration de l’eau dans le sol et sa conservation dans les nappes phréatiques. En imperméabilisant ou artificialisant la surface, en préférant les murs aux haies, la pelouse rase à la prairie, les buissons taillés au cordeau au lieu d’un enchevêtrement de rameaux, des arbres élagués convertis en gibets à la place de canopées majestueuses, sans parler des bâtiments, parkings et voies d’accès, nous créons un environnement propice aux catastrophes. Sans frein végétal, le vent risque de s’acharner sur le bâti et l’excès d’eau non capté dans les réseaux souterrains ruissellera en surface et s’accumulera dans les bas-fonds, inondant ce qui s’y trouve.
Nos compatriotes du couloir rhodanien composent depuis longtemps avec la force du vent. Ils savent qu’un mur en dur n’a pour effet que son accroissement et la création de tourbillons néfastes. Pour s’en protéger, rien ne vaut une barrière végétale, à la fois souple et perméable comme les alignements de cyprès par exemple, qui ne s’y opposent pas de front, mais offrent une résistance diffuse. Sur Internet, j’ai trouvé un site qui éclaire un peu le mécanisme de ce phénomène naturel. Le vent est un déplacement d’air entre deux zones géographiques. La force du vent s’accroît d’autant plus que la différence de leur pression est importante, et faible la distance qui les sépare. Cette force est proportionnelle au carré de sa vitesse. Par exemple pour une vitesse cinq fois plus grande, la force est multipliée par 25. Dans l’échelle de Beaufort on peut retenir les caractéristiques suivantes (je pense qu’il ne s’agit que d’arbres isolés ou citadins – une forêt naturelle est bien plus apte à se prémunir contre les perturbations atmosphériques -) :
- 55 km/h : le vent peut casser les petites branches des arbres.
- 65 km/h : le vent casse les branches moyennes.
- 75 km/h : les arbres les plus légers sont déracinés.
- 100 à 140 km/h : le vent peut briser des murs et des maisons légères.
- 170 km/h et plus : les constructions les plus solides sont endommagées.
Tempête (photo du début du XXe siècle – « Autrefois Biarritz », Atlantica)
Les auteurs d’une étude révèlent que les villes, en plus d’être influencées par le climat, influent elles-mêmes sur celui-ci: elles modifient localement les paramètres climatiques. Mais, remarquent-ils, « les acteurs de la planification urbaine et de l’aménagement de l’espace ont aujourd’hui perdu cette mémoire des effets climatiques de la forme urbaine, de l’influence régulatrice de la végétation, et du rôle bénéfique des espaces d’eau (couloirs fluviaux, fontaines, etc.). » Le projet VegDUD (Rôle du végétal dans le développement urbain durable), coordonné par l’IRSTV (Institut de Recherche en Sciences et Techniques de la Ville, fédération de recherche CNRS) et financé par l’ANR (Agence nationale de la recherche), vise à évaluer les impacts de la végétation en lien avec ceux de la forme urbaine, sur plusieurs systèmes urbains en interaction : le climat, les ambiances, l’énergie, l’hydrologie à différentes échelles spatiales et temporelles, etc. Un livre de synthèse expose le résultat de leurs réflexions: Une ville verte – Les rôles du végétal en ville.
Écume de mer (photo du début du XXe siècle – « Autrefois Biarritz », Atlantica)
Une autre étude confirme ce que j’avais senti intuitivement. La présence d’arbres autour des bâtiments augmente la rugosité générale de la surface, réduisant la vitesse du vent et sa force de pénétration, aussi bien l’air chaud en été que froid en hiver. L’efficience énergétique s’en trouve accrue, de même que par la végétalisation du bâti et celle des alentours, grâce à l’ombre, l’évapotranspiration et l’épaisseur du substrat. Quant à l’eau, les chercheurs notent l’absurdité à laquelle nous sommes réduits : les villes puisent et importent de l’eau parfois à de grandes distances, alors qu’elles perdent presque l’ensemble des précipitations qu’elles reçoivent en l’expulsant à toute vitesse par leurs réseaux souterrains !
Les tempêtes sont des événements exceptionnels ? C’est vrai. Nous ne sommes pas dans une région très exposée ? Pour le moment. Mais cela risque de changer: j’ai ajouté à mon étude sur les conséquences locales du changement climatique (BAB 2050 – Climat) un chapitre (1.2.1.2.), « Tempêtes et sédiments », où l’on peut lire que les perspectives s’annoncent plutôt inquiétantes. Et l’ennui, c’est que nous ne nous y préparons pas du tout. Bien au contraire, nous continuons d’artificialiser nos côtes, ne cessons de construire en bord de mer et ailleurs, supprimons à une vitesse croissante les jardins, élaguons à qui mieux mieux les quelques arbres qui subsistent, de plus en plus isolés, remplaçons les haies par des murs, les buissons par du béton…
Pourtant, c’est un fait, le climat change et nous ne faisons rien pour y remédier. Faire l’autruche, c’est si agréable ! Et notre mode de vie est si confortable ! Pourquoi se soucier des conséquences qui ne se manifestent – pour l’instant – que dans des pays lointains et déjà touchés par maintes calamités ? N’avons-nous pas suffisamment de stress avec ce Covid dont on nous rebat les oreilles depuis plus d’un an ? Sans parler de nos petits (ou grands) soucis personnels ?
Quant aux inondations dans le Sud-Ouest et ailleurs en France, faut-il seulement mettre en cause les précipitations exceptionnelles et faire le dos rond, ou bien devons-nous nous interroger, d’une part, sur l’évolution du régime des précipitations, et d’autre part, sur notre mode d’occupation du territoire ? Ce volume de pluies automnales et hivernales ne risque-t-il pas de devenir la norme, s’opposant à une sécheresse estivale de plus en plus longue, assortie de périodes caniculaires ?
Notre population, toujours croissante bien que le taux de fécondité ait beaucoup décru, occupe des terres autrefois réservées aux cultures ou à l’élevage, des berges de cours d’eau, des barthes et marécages sévèrement drainés et asséchés. Les zones d’épanchement naturel des crues se sont drastiquement amenuisées, le lit des cours d’eau souvent canalisé et rectifié, la ripisylve arrachée. Depuis longtemps, certains lancent un cri d’alarme et prônent la restauration des zones humides, indispensables aux migrations des oiseaux, à l’existence de nombreux poissons, insectes et batraciens, mais également à l’atténuation de ces irrégularités de flux et à l’épuration de l’eau.
Dernier méfait de la tempête Justine, le descellement des bordures du muret-digue de protection des immeubles et commerces de la Chambre d’Amour à Anglet, exposés en première ligne, suite au recul du trait de côte engendré par une érosion résultant là encore de nos actions et de notre mode de vie… Et l’épais tapis de mousse qui envahit la promenade et les parkings offre au regard le résultat de la floculation d’une eau chargée de sédiments, de molécules organiques, mais aussi de composés polluants sous l’effet de l’agitation des vagues soulevées par le vent… « Faut-il pleurer, faut-il en rire ? Je n’ai pas le cœur à le dire… » (Jean Ferrat)
Voiture emportée de la route sur la plage par la force d’une vague cachée sous l’épaisseur de l’écume de mer (photo du début du XXe siècle – « Autrefois Biarritz », Atlantica)
Du professionnalisme à l’état pur émanant d’une trop modeste citoyenne angloye .
Les alarmes climatiques et environnementales y sont détaillées , vulgarisées au maximum : qu’attendent nos décideurs ?
L’état des lieux se recentre souvent sur notre Pays Basque et Landes . Comment ne pas réagir , nous qui n’avons rien à perdre ( électoralement ) si ce n’est la santé de nos enfants ?
Nous confions la gestion de la Covid à des politiques obnubilés par leur seule réélection . Erreur nationale .
Nous devrions au moins confier notre territoire proche à des gens compétents et désintéressés comme Cathy Constant .
Super article Cathy, merci.
Belle compréhension du changement climatique de ton jardin par le changement de circulation de ses habitants! Et ton article dans son ensemble est très intéressant.
Le déboisement de nos forêts , la taille excessive des haies et plus particulièrement en cette période hivernale, laissant les oiseaux, insectes, petits mammifères sans protection, les cultures de forêts d’une seule espèce d’arbres , tout concourt à nous rendre plus fragiles, moins protégés et plus susceptibles de subir des écarts de température et des coups de vent qui vont augmenter chaque année .
Un voisin veut m’obliger à abattre les peupliers en bordure de son terrain car il trouve que « cela sali sa toiture ». Je sais que les couper va déséquilibrer les autres arbres présents et je vais planter des arbres jeunes à leurs côtés avant de les couper à mi hauteur en discutant avec eux avant afin de faire cette coupe avec leur aide.
Tout est question d’équilibre et de respect de ce que la nature sait faire naturellement. Nous sommes de petits enfants et nous réapprenons à vivre ensemble.
Merci Cathy. Non seulement vos écrits nous font prendre conscience de la gravité de l´état actuel, de la réalité, mais c´est en plus un grand régal que de lire vos descriptions et vous accompagner dans votre imagination