Depuis des années, je m’interroge sur les noisetiers qui poussent au fond de mon jardin. Autrefois, à Boé, petit village en bordure de Garonne dans la banlieue d’Agen, ceux de ma belle-mère étaient si couverts de noisettes que nous ne savions où donner de la tête. Ils formaient un alignement touffu qui ombrageait le poulailler d’un côté, et bordait un potager où mes enfants avaient appris très jeunes à déchausser les asperges à l’aide d’une longue spatule métallique pour les récolter sans les casser. Partout alentour s’étendait la campagne, l’exploitation de cresson de mes beaux-parents et des champs de maïs ou de tournesol de leurs voisins. Quant à mes noisetiers, c’est une catastrophe. Si je vois une ou deux noisettes, c’est bien le bout du monde, et encore, en cherchant bien. Une fois, j’ai cru comprendre la raison de ce dénuement. Debout devant ma porte-fenêtre, j’ai surpris un adorable commando de deux écureuils roux qui, en deux temps trois mouvements, aidés du balancier de leur somptueuse queue en panache, ont parcouru les rameaux souples, se suspendant la tête en bas et remontant tout aussitôt pour faire place nette avant de disparaître dans les arbres du voisinage.
Mais il y a deux jours, j’ai découvert un site qui m’a mis la puce à l’oreille: la raison de cette infime fructification était peut-être tout autre. Depuis le mois de décembre, mes noisetiers arborent déjà des chatons qui ont pris du volume en janvier pour passer en ce début février du brun-vert au jaune. La littérature fait courir l’idée que les floraisons ne débutent qu’au printemps. En réalité, beaucoup de plantes ne se basent pas sur la hausse de la température, mais sur l’allongement de la durée du jour pour démarrer leur cycle végétatif. Le signal déclencheur n’est pas météorologique, il est astronomique. C’est le solstice d’hiver (21 décembre), jour le plus court de l’année, à partir duquel la durée d’éclairement quotidien augmente jusqu’au solstice d’été (21 juin). Parmi celles-ci, on peut citer la primevère, la pâquerette, le pissenlit, la ficaire qui forme un lumineux parterre jaune vif au fond du jardin, mais aussi le romarin, le mimosa, le camélia, le cognassier du Japon…
Qu’explique donc l’auteur de ce site excellemment illustré et documenté ? Tout d’abord, les chatons ne sont que les fleurs mâles du noisetier. S’ils jaunissent, c’est que les écailles des épis suspendus aux fins rameaux se soulèvent, découvrant les étamines prêtes à répandre des milliers, voire des millions de grains de pollen au moindre coup de vent. Comment se forment donc les noisettes ? Où sont les fleurs femelles à féconder ? Chaque arbuste possède des fleurs mâles (les chatons) et des fleurs femelles. Mais il y a deux « hic ». D’une part, un noisetier ne peut pas s’autoféconder (les chatons sont matures avant les fleurs femelles de l’arbuste), et d’autre part, il faut que le moment de dispersion de son pollen coïncide avec celui où les fleurs femelles d’un autre noisetier sont réceptives ! Il y a même trois « hic », car cet autre noisetier doit bien évidemment se trouver globalement dans l’axe du vent dominant, soit, chez nous, à l’est du premier.
Maintenant que nous avons pris conscience de la difficulté de la chose, voyons où se trouvent les belles. Incroyables ! Elles sont planquées, cachées, enfouies à l’intérieur de gros bourgeons qualifiés de « mixtes » car ils hébergent à la fois ces fleurs femelles excessivement discrètes et des feuilles qui, lorsqu’elles se déploieront, continueront d’entourer et de protéger le pistil fécondé qui, en mûrissant, donnera la fameuse et délicieuse noisette ! Ce serait trop facile, sinon !
Ces fleurs n’ont ni pétales, ni sépales (qui ne serviraient à rien puisqu’elles n’ont personne à charmer), et encore moins de nectar. Elles sont regroupées en inflorescence autour d’un épi très court et la seule chose qui dépasse du bourgeon, ce sont les extrémités filamenteuses de chaque pistil (des stigmates rouge vif) qui forment une houppe minuscule (que j’imagine gluante pour capter le pollen). Ce bourgeon mixte peut se trouver à la base d’un pédoncule de chaton ou à la pointe d’un rameau ou encore ailleurs sur le rameau.
Les rares insectes butineurs qui subsistent encore en hiver (ou qui démarrent très tôt leur cycle annuel) ne cherchent pas à violer cette épaisse enveloppe protectrice autour des fleurs femelles. Ils sont pourtant intéressés par le noisetier qui fournit en ces temps de pénurie et de froidure une ample provision de pollen nourrissant. Par contre, lorsque la noisette commencera à se former, la femelle d’un petit coléoptère de la famille des charançons, le balanin des noisettes, viendra y pondre un œuf après avoir percé la coquille encore tendre à l’aide de son rostre. A l’éclosion, la larve se nourrira du fruit, puis elle percera la coquille d’un petit trou parfaitement circulaire, caractéristique, ne laissant qu’une coque vide souvent prématurément tombée… Pour conclure, si mes deux noisetiers ont si peu de noisettes, c’est probablement qu’ils sont trop abrités du vent sous les branches du chêne et contre l’épais fourré de lauriers. Maintenant que les écureuils ont semé des noisettes sur leur trajet le long de la façade sud de la maison et que des noisetiers vigoureux se sont mis à pousser, j’ai bon espoir que toute cette petite famille fructifie enfin…
Illustration supprimée: L’élégant balanin des noisettes (photo Internet)
Bravo : ton texte est superbe, et comme à l’accoutumée, tu nous apprends plein de choses!
Amitiés
Chantal
Bonjour
Comme d’ habitude très intéressant reportage, j’ai moi aussi remarqué la venue des chatons.je vais de ce pas les regarder d’un œil plus attentif.
E.R
un article court mais bien documenté et agéable à lire
de belles photos
On en redemande
Merci pour cette information très intéressante. J’ai aussi des noisetiers qui ne donnent presque rien
bien abrités par les arbres autour et d’autres plus isolés qui sont très généreux.
J’ai d’ailleurs planté deux noisetiers de plus cet hiver.
Important : le pollen des noisetiers est le nourrisseur préféré des abeilles en fin d’hiver au moment
de la reprise de la ruche. Et les périodes de redoux leur permettent d’aller en chercher et en stocker.
Un grand merci pour l’aventure de la naissance des noisettes.
Très intéressant et instructif.
M-France
L’ aventure de la naissance des noisettes;
Ton texte est très intéressant et instructif.
Merci pour ce partage
M-France
Bonjour Cathy , merci de ces jolies et utiles explications .
Notre fils vient d’ acquérir une maison et un grand jardin , où il y a des noisetiers ,
il a eu le plus grand intérêt à parcourir » mystérieux noisetier » !
Merci de continuer à nous apprendre et à nous faire découvrir plein de secrets !
Manquons – nous à notre jardin de Tivoli ? !
Bien amicalement
Anita
Article très intéressant qui me fera regarder les noisetiers d’un œil différent… Mais pourquoi certaines années le noisetier croule sous les fruits, alors que d’autres il n’en a pas…?
Gelées précoces, absence de vent ou arbre isolé sont les principales causes de l’absence de récolte chez le noisetier.
Les arbres fruitiers sauvages ont toujours une fructification irrégulière: pour le chêne, on parle d’année de grande glandée, en opposition aux années moins productives. En arboriculture fruitière, l’alternance (plus ou moins biennale) entre une fructification très importante et une autre presque inexistante a été remarquée depuis des siècles (culture de l’olivier chez les Romains par ex.). Les moyens d’y remédier et les explications sur le phénomène sont longuement décrits sur Internet en cherchant à la rubrique « Alternance (arboriculture fruitière) ». Toutefois, le phénomène est encore très mystérieux et les solutions pour réguler la production jamais radicales. Les recherches se multiplient et les échanges d’informations se font sur le plan mondial.
Merci Cathy; je vais aller voir sur le net pour compléter es connaissances et te remercies pour tes publications toujours si intéressantes.