Les animations de Libre Cueillette à la crèche Mouriscot de Biarritz se déroulent sur quatre mois, à cheval sur la fin du printemps et le début de l’été, une bonne période pour jardiner. Malgré la fraîcheur qui oblige à superposer les couches de vêtements, les enfants adorent sortir, même quand il pleut. S’ils apprécient de plonger les mains dans la terre, toute crainte de se salir rapidement balayée, ils préfèrent encore plus manier des outils, pelle, râteau, arrosoir, qu’il est important d’avoir en nombre suffisant sous peine de disputes et de drames bruyants !
Avec les tout-petits, les activités doivent être variées et se succéder rapidement sitôt que l’on ressent un relâchement de leur attention. Nous mettons à profit l’intérêt manifesté à la vue d’un oiseau, au son d’un avion ou d’un train, à l’arrivée d’une averse, pour échanger avec eux, leur faire dire le nom de ce qu’ils ont remarqué, mimer le vol en marchant et battant des bras, écouter le chant des oiseaux dans les arbres ou le vent dans le feuillage, s’installer dans un calme propice à l’ouverture des sens pour percevoir les manifestations de la nature environnante. Les citrons cueillis le matin même offrent une expérience complète: observer le fruit, s’en saisir et en apprécier le poids, sentir l’odeur de sa peau, puis, une fois ouvert, en découvrir l’intérieur, le jus, la pulpe, les quartiers, les pépins, en goûter une tranche (les petits sont moins sensibles que les adultes à l’acidité et à l’amertume, ils avalent tout, peau comprise !). Enfin, les pépins sont semés dans un bac, dans l’espoir de voir un citronnier grandir un jour dans le jardin de la crèche.
Sonia profite de l’initiative d’un enfant qui ôte ses chaussures pour lancer une nouvelle activité de développement des sens du toucher… avec la plante des pieds ! Deux ou trois préfèrent rester chaussés. Qu’importe, il n’y a pas d’obligation, chacun est libre d’expérimenter – ou pas ! Les enfants s’élancent derrière Sonia à l’enthousiasme communicatif, qui les entraîne en dansant à la queue le leu sur l’herbe humide. Puis les sachets de graines distribués à la ronde deviennent le prétexte à un concert de maracas, chaque pot et chaque sachet émettant un son différent que l’on écoute à tour de rôle. Dans le groupe, il y en a toujours quelques uns qui démarrent au quart de tour tandis que d’autres observent, un peu perplexes, sans trop s’intégrer à l’ambiance festive.
Lors de nos entretiens préliminaires, nous avions émis l’idée de créer – au rythme des activités avec les enfants de la crèche – un parcours des sens. Il aurait été souhaitable, au préalable, de procéder à un ajout de terre sur le petit espace alloué aux tout-petits de façon à supprimer les pentes, améliorer la couche supérieure par un ajout de terre végétale plus meuble et agrandir ainsi la surface utile à jardiner. Cela ne s’est pas fait, la décision d’aménagement – et les frais – incombant à la municipalité de Biarritz qui n’en a sans doute pas saisi l’intérêt. Qu’à cela ne tienne ! Nous avons décidé d’opérer plus lentement et avec les moyens du bord.
Nous récupérons des plantes d’autres jardins pour les installer dans le sol très compact, couvert d’une pelouse rase où se dépêchent de fleurir quelques herbes sauvages entre deux tontes. Un romarin, de la sauge, de la menthe, de la linaire, des fraisiers des bois sont implantés avec les enfants le long du grillage, tandis que les légumes plus fragiles sont semés dans les bacs. Arrachés au fond de mon jardin, j’apporte deux très jeunes arbres, un laurier sauce et un noisetier, qui comportent encore la graine nourricière (et même la coquille autour de la noisette) dont s’échappent en sens opposé la tige et la racine pivot. Nous les montrons aux enfants en détaillant chaque partie de la plante, puis les plantons avec leur concours dans la pente près du mur, dans l’espoir qu’ils génèrent assez rapidement un peu d’ombre et d’agrément, ainsi qu’un obstacle visuel empêchant les petits d’aller y trébucher.
Le jardinage est aussi un moyen de développer diverses aptitudes: la manipulation fine (de graines, de plants, de feuilles, de fruits…) avec ces petites mains encore bien pataudes, le vocabulaire, mémorisé par ces jeunes esprits même si les enfants ne sont pas encore forcément en mesure de répéter les mots, un comportement social (attendre son tour, donner la main, faire ensemble, partager, écouter et respecter les instructions, ne pas recourir à la violence – vis à vis des compagnons, des petits animaux, des plantes)… Tout en jouant, les enfants travaillent à devenir des êtres moins centrés sur eux-mêmes, plus curieux de ce qui les entoure, plus ouverts à la nouveauté, plus audacieux face à l’inconnu.
Le jardinage avec les tout-petits s’apparente pour Sonia et moi au mythe de Sisyphe : le héros grec, frappé d’un châtiment, devait sans cesse rouler un gros rocher jusqu’en haut d’une montagne d’où il dégringolait, ce qui l’obligeait à le remonter encore et encore. De même, il arrive que les graines confiées aux enfants chutent par terre, lâchées par les menottes oublieuses qui s’ouvrent au-dessus du gazon, ou bien que les semences déposées dans les bacs se retrouvent hors de terre, extirpées de leur trou, car ce qu’adorent ces bambins, c’est manier la pelle, le râteau, ou tout simplement leurs doigts qu’ils enfoncent à plaisir dans le substrat noirâtre pour s’en saisir et le déposer hors du pot. C’est donc presque un miracle que quelques rescapées aient réussi à germer, même si elles ne sont pas pour autant sorties d’affaire, car il faut encore les défendre face au réflexe d’arrachage qui semble inscrit dans les gènes de ces jeunes bambins à l’énergie dévastatrice !
Par contre, lorsqu’on leur demande de procéder à un désherbage systématique, ils s’en lassent rapidement, comme de toute activité répétitive un peu longue. Comment le leur reprocher ? Voici plusieurs semaines qu’on leur explique qu’il ne faut rien arracher ! En outre, même si on leur montre les graminées à extraire, ils ne font guère la différence avec les quelques plantes à fleurs qui ont survécu dans le bac et qu’il s’agit d’épargner. Sensibles à la beauté, ils sont toujours tentés de cueillir les fleurs, et nous devons nous évertuer à répéter que sans fleurs, les fraisiers ne donneront pas de fraises, un argument qu’ils semblent avoir tout de même intégré. Le gros fruit de la nigelle les attire également. Depuis que nous leur avons fait découvrir ses compartiments emplis de fines graines, ils n’ont de cesse de récolter ce « cumin noir » qu’ils sèment dans les bacs.
L’enthousiasme reprend lorsqu’on les équipe d’outils pour grattouiller la terre avant d’y semer quelques graines. Le sol est bien sec en ce début juin, les enfants pourront se consacrer à leur activité favorite: l’arrosage. Pour faire durer le plaisir, nous ne mettons qu’un fond d’eau dans chaque mini-arrosoir et demandons qu’une fois vidé, il soit passé à un camarade qui attend son tour. Ce n’est pas toujours facile de leur faire accepter de les prêter et je remarque quelques enfants qui reviennent plus souvent qu’à leur tour pour faire remplir leur arrosoir. Nous signalons de bien répartir l’eau, de ne pas verser pour verser, mais au contraire de repérer les zones encore sèches. Cela ne les passionne pas vraiment. Je n’ai pas l’impression qu’ils aient bien compris l’objectif d’humecter la terre pour favoriser la germination des graines qu’ils ont semées. Cela viendra, ils sont si jeunes…
L’activité de jardinage est toujours très prisée. Le problème, c’est que nous ne pouvons prendre qu’une dizaine de participants parmi le groupe des « grands » qui compte une vingtaine d’enfants, les autres devront attendre la semaine suivante. Cela ne se fait pas sans drame, pleurs et tentatives de resquille ! L’avènement des beaux jours permet de sortir en excursion hors de la crèche, dans le vaste parc contigu appartenant au centre de loisirs des enfants plus âgés. Non seulement nous profitons de grands bacs destinés au jardinage, mais en plus nous profitons de la petite marche sur le sentier bordé d’arbres et à travers la prairie pour observer une nature un peu plus sauvage.
Dans le sous-bois, nous leur disons de guetter la présence d’écureuils sur les noisetiers, puis nous faisons un arrêt devant un chêne dont la base est percée par plusieurs « têtes » d’un champignon qui le dévore lentement. Nous leur apprenons à l’observer avec les yeux – pas avec les mains ! – pour leur inculquer une méfiance nécessaire à l’égard du risque de toxicité. L’herbe offre son lot d’insectes, moucherons, sauterelles, papillons et coccinelles, et dans la terre d’un bac, un millepattes cherche désespérément à retrouver la sécurité de l’obscurité. Grâce à ces expériences, les enfants s’accoutument au petit monde des insectes, découvrent leur petitesse, leur fragilité et la nécessité de ne les manipuler qu’avec délicatesse pour ne pas risquer de les blesser ou de les tuer.
Après l’exploration, on se reconcentre ! Sonia s’assied dans l’herbe et nous l’aidons à regrouper les enfants autour d’elle. Pour capter leur attention, elle tarde à ouvrir sa petite boîte et joue à en montrer le contenu à chaque enfant, avec consigne de ne pas en dévoiler le contenu aux autres… Bien entendu, ce sont des graines, toutes différentes, qui leur sont distribuées pour être semées à quelques pas de là dans le bac. Mission difficile ! Il y aura peu d’élues.
La dernière animation s’achève par un pique-nique sur la terrasse avec Sonia, pour la plus grande joie des enfants. L’an prochain, la plupart entreront en maternelle où, espérons-le, ils pourront de nouveau bénéficier d’activités de jardinage dans le cadre scolaire. Cet apprentissage précoce leur aura sûrement apporté une bonne ouverture vers la nature qui ne pourra que leur être bénéfique.