Climat et végétation

Le jardin suspendu de Lilitegia, grâce à sa surface étendue sur les toits de deux immeubles contigus et la diversité des plantes sauvages et cultivées qui s’y développent, offre l’opportunité de nous livrer à des observations intéressantes sur son évolution en fonction du climat et des aléas météorologiques. J’ignore si le terreau initialement installé dans ces grands bacs contenait beaucoup de graines et de microorganismes. Comme à la résidence des Terrasses de l’Avenue à Anglet, tout a semblé demeurer inerte durant les mois qui se sont écoulés entre la fin de la construction de l’ensemble immobilier, la livraison de tous les appartements aussi bien locatifs que pour les accédants à la propriété et le début effectif des animations Libre Cueillette en mars 2022.

Un jardin à la fois d’agrément et potager.

Il y a donc de fortes probabilités pour que la vie microbienne, végétale et animale ne s’y soit développée qu’au gré des apports de graines et de plants par Libre Cueillette et les résidents, ainsi que par la voie des airs, avec les graines et les insectes minuscules emportés par le vent ou les semences et les microorganismes ayant résisté au transit dans le système digestif des oiseaux et éjectés avec les fientes. Il ne faut pas négliger non plus le contenu du dessous de nos semelles. J’ai découvert un exemple devenu classique outre Atlantique. Apparemment introduit dans les Amériques par des colonisateurs puritains, le Grand Plantain (Plantago major) était connu de certains peuples amérindiens sous l’appellation de « White man’s footprint : empreinte de l’homme blanc », car cette plante européenne prospérait dans les écosystèmes perturbés et endommagés qui entouraient les colonies. Les Européens avaient emporté sans le savoir des graines enfouies dans la boue restée dans les rainures de leurs chaussures !

Des graines duveteuses de saule roux emportées par le vent dominant réussissent à germer dans les bacs potagers de Lilitegia.

Étant donné que nous ne désherbons pas systématiquement (cf. l’interview de Sonia, l’animatrice de Libre Cueillette, sur le thème des « Herbes folles » pour la chaîne de télévision TVPI), l’identification de toutes ces plantes nous paraît indispensable, de façon à maîtriser ce qui pousse dans ces bacs de faible profondeur. Lors des séances hebdomadaires de jardinage avec les résidents, je m’attache en particulier à repérer les jeunes ligneux, ces arbres qui s’introduisent sans y avoir été invités et qui risquent d’endommager le système de drainage en allant chercher l’eau partout où leurs racines en détectent la présence. J’enseigne donc aux résidents-jardiniers à les reconnaître pour les arracher avant qu’ils n’aient eu le temps de prendre leurs aises. Ils sont ensuite transportés à la déchèterie de façon à être recyclés en compost par des moyens industriels. En effet, Sonia et moi nous méfions de leur capacité à se bouturer si nous les découpions simplement en tronçons pour les répandre sur le sol, comme nous le faisons pour les autres végétaux. Jusqu’à présent, il ne s’en trouvait que sur la terrasse supérieure, principalement des saules roux et un unique érable champêtre, mais un gros saule roux a réussi à se développer sur la terrasse inférieure, bien caché par des buissons plantés par l’entreprise de jardinage de la résidence dans des bacs dédiés autour des bacs potagers. Pour réussir à le déraciner, nous avons dû nous y mettre à deux, l’une pesant sur une grosse fourche tandis que l’autre tirait de toutes ses forces ! 

La dizaine de plants de fraisiers s’est multipliée pour former un immense parterre !

Tout se passe comme si une multiplicité de milieux coexistaient sur ces terrasses au quatrième et cinquième étage, car il y pousse des plantes aux exigences très diverses. Par exemple, les fraisiers des bois (Fragaria vesca) qui prospèrent au jardin poussent spontanément en Eurasie et en Amérique du Nord dans les clairières et sur les lisières forestières où ils fructifient vers la fin du printemps avant que les arbres feuillus ne les aient plongés dans une ombre trop épaisse. Mais les fraisiers à gros fruits que nous avons introduits sont tous issus d’espèces américaines, initialement des hybrides de fraisiers du Chili (de la jolie île de Chiloé) et de fraisiers de Virginie, à l’exception de la gariguette qui est hybridée en plus avec un fraisier méditerranéen plus sobre en eau. Ces hybridations ne paraissent pas bien stables, car nous constatons un phénomène étonnant. Sur les stolons émis par ces pieds hybrides devraient normalement pousser des clones, c’est à dire des pieds identiques sur le plan génétique au pied-mère. Or, dans le grand parterre, ce sont des myriades de fraisiers des bois qui se développent et très peu de fraisiers à grosses fraises. Quel est ce mystère ?

Trois plantes de milieux très différents cohabitent au jardin.

Contrairement au fraisier des bois, la linaire commune est une espèce sauvage de pleine lumière. Elle est très répandue en France jusqu’à 1500 mètres d’altitude et se propage par semis spontanés de ses graines minuscules (8000 graines pèsent un gramme !) ou de façon végétative grâce à son rhizome. Peu exigeante, elle pousse même sur un sol sableux ou rocailleux, ce qui explique sa résistance sur ces parterres de Lilitegia seulement arrosés par la pluie. En revanche une résidente a « craqué » pour l’achat d’arums qu’elle a implantés parmi les fraisiers à gauche de l’entrée. Si l’arum d’Italie, ou gouet d’Italie, pousse bien en France dans les sous-bois et à proximité des cours d’eau, les spathes blanches, et non verdâtres, de ces inflorescences font plutôt penser aux Zantedeschia, des plantes de la même famille des Aracées, mais originaires des milieux humides d’Afrique du Sud. Il s’agit ici d’une variété de petite taille par rapport à ceux que l’on voit dans les parcs et jardins.

De belles américaines…

Outre les fraisiers, d’autres plantes américaines poussent dans le jardin partagé: le maïs, le topinambour, le tournesol, la pomme de terre, la courge, le piment, le poivron, la tomate… Le maïs provient du Mexique où il prospère sous un climat chaud et humide. Originairement cultivé en Amérique centrale, il s’était répandu du Nord au Sud des deux Amériques avant la colonisation européenne. Le topinambour vient d’Amérique du Nord où il était consommé par les populations amérindiennes jusqu’au Canada actuel. Du même genre que le tournesol (d’Amérique du Nord également), il est très rustique et supporte bien le froid. A l’instar de la pomme de terre (issue des hauts plateaux des Andes chiliennes et péruviennes), il forme des tubercules où sont entreposées des réserves qui lui permettent de redémarrer un cycle annuel de végétation après l’hiver.

Des plants de tomates vigoureux s’abreuvent aux oyas.
Les semis de tomates germent dans tout le jardin !

Mais la reine de nos belles américaines, c’est bien la tomate si prisée, dont les formes sauvages aux fruits de petite taille poussent en lisière des forêts tropicales des vallées andines, du Pérou à l’Équateur. Sa première domestication eut lieu il y a environ 8000 ans au Pérou et une seconde au Mexique. Son nom provient du suffixe tomatl, en langage Nahuatl parlé par les Aztèques en Amérique Centrale. Elle appartient à la famille des Solanacées, tout comme la pomme de terre, mais tandis que la première apprécie la chaleur, la seconde se contente (comme le topinambour) de températures plus basses.

Les plantations de plantes potagères se font le long d’un massif de chénopode blanc qui tente de coloniser le jardin.

Si les plantes cultivées dans le jardin émanent du monde entier, les sauvages quant à elles sont bien locales et d’autant plus vigoureuses. Sonia et moi débutons dans leur détermination et nous ne sommes pas encore sûres à 100% de l’exactitude de nos identifications. Nous nous aidons pour cela d’une application en ligne sur notre téléphone mobile, mais elle n’est pas toujours très fiable tant que les fleurs ne sont pas encore apparues. Ainsi, nous pensons que les buissons épais qui se développent à toute vitesse près de la structure de palissage en bambou de la terrasse inférieure sont probablement du chénopode blanc. Les feuilles en pattes d’oie couvertes d’un fin duvet semblent le caractériser, de même que sa propension de plante pionnière à la colonisation rapide de terrains dénudés. Comme la Picride fausse épervière à la floraison jaune vif qui pousse dans un autre bac, il s’agit d’une plante comestible, mais dont il ne faut pas abuser car il contient de l’acide oxalique, tout comme l’épinard qui en est dérivé.

Le partage n’est pas bien assimilé par tout le monde, il faut régulièrement expliquer et rappeler les règles d’un jardin collaboratif.
Il faut se retenir d’intervenir systématiquement, mieux vaut observer et chercher à comprendre.

En nous informant sur les milieux dont sont originaires les plantes du jardin, cela nous permet de mieux comprendre leurs besoins. Mais bien sûr, dans un milieu artificiel comme ces bacs qui ne sont finalement que des pots de fleurs géants, on ne pourra jamais offrir la profondeur de sol où certaines seraient capables d’aller explorer les ressources (en eau, en sels minéraux), et il sera encore moins envisageable de les associer au cortège floristique qui les accompagnait dans leur milieu d’origine. Comment faire alors ? Un moyen très simple de nourrir le sol, c’est de poser à sa surface tous les restes végétaux dont nous n’avons pas l’usage. Ainsi, à la fin de leur cycle, les plantes annuelles ont été découpées en tronçons ou simplement étalées, de façon à protéger physiquement le sol et à nourrir tout son petit monde (animaux, bactéries, champignons…) qui contribue collectivement à le générer et à l’enrichir en les digérant et les décomposant en éléments nutritifs pour la génération suivante de plantes. De même, les herbes sauvages en surplus ont été arrachées ou simplement coupées à la base pour en faire un paillis. Couvrir le sol, c’est aussi le plonger dans une ombre bienfaisante et limiter l’évaporation de l’eau qu’il contient.

Le développement plus rapide de certaines plantes ne doit pas se faire au détriment de leurs voisines.

Nous avons encore d’autres cordes à notre arc. En effet, il est possible de jouer sur certains facteurs physiques pour créer des micro-climats au sein même du jardin. Ainsi, la densification en faisant varier les hauteurs et les masses des plantes aussi bien sauvages que cultivées offre une protection contre le vent, contre une insolation excessive et limite l’assèchement du sol et des parties aériennes des végétaux. En se serrant les unes contre les autres, elles se protègent mutuellement, atténuent les courants d’air et maintiennent une couche d’air tempérée où sont atténués les écarts de température, aussi bien vers le bas que vers le haut. Pourquoi ? Parce que la photosynthèse qui leur permet de fabriquer leur organisme grâce à l’énergie solaire nécessite de l’eau qui est pompée dans le sol par les racines et expulsée dans leur environnement proche par les feuilles: c’est le phénomène de l’évapotranspiration. L’air est donc naturellement humide au sein d’une végétation densément implantée et les plantes ont moins soif puisque ce micro-brouillard les protège d’une insolation excessive. Tout un chacun peut l’expérimenter aisément en comparant l’ombre sèche sous un parasol ou un store avec l’ombre humide générée par un arbre ou une vigne étalée sur une pergola. La seconde est nettement plus agréable et confortable que la première, bien évidemment !

Trouver la limite entre protection et étouffement: tamaris et graminées envahissent les plants de tomates.

Jardin nourricier, mais aussi expérimental, il n’est pas utile dans un premier temps de s’encombrer l’esprit des prescriptions trop strictes indiquées dans la littérature des jardiniers en matière d’associations ou d’isolement de certaines plantes. Au contraire, nous faisons en sorte de mêler intimement légumes, aromatiques, plantes d’ornement et herbes sauvages de façon à diversifier les odeurs et émanations biochimiques. Nous espérons ainsi troubler les agresseurs éventuels (papillons et chenilles, pucerons, champignons…) et limiter les propagations rapides, corollaires des monocultures et des plantes fragilisées par des pratiques culturales inadaptées.

Arrosage des têtes d’artichaut pour limiter la multiplication des pucerons.

D’une semaine sur l’autre, le jardin se métamorphose et se convertit en une jungle foisonnante. Le problème n’est plus de planter, mais d’arracher les plantes trop dynamiques dont le développement rapide se fait au détriment de leurs voisines. C’est le cas de la sauge sclarée qui apprécierait plus de lumière et d’espace autour d’elle et se retrouve enfouie sous la masse de la menthe aquatique, de la menthe poivrée et de la mélisse. Il en est de même pour quelques plants de tomates, maïs, tournesol et fèves qui se voient envahis par du liseron. Un tamaris planté en bordure de potager par l’entreprise de jardinage de la résidence a une pousse également très rapide, mais au lieu de croître en hauteur, il s’étale et déborde sur le bac cultivé. En dégageant les branches basses, nous découvrons un plant de tomates qui s’est parfaitement bien développé sous cet abri inattendu, mais qui bien sûr a dû adopter un port rampant.

Températures plus élevées que les années précédentes.
Des précipitations très inférieures aux normales saisonnières durant ce premier semestre 2023.

L’association Info Climat publie des statistiques sur l’évolution des températures, des précipitations et du vent établies à partir des données fournies par la station météorologique de l’aéroport de Biarritz-Parme. Même si ces chiffres peuvent légèrement varier le long de la côte basque, et donc différer un peu à Saint Jean de Luz où se trouve le jardin suspendu de Lilitegia, ils fournissent néanmoins des indications sur la tendance globale. Comme le montrent les graphiques ci-dessus relatifs aux six premiers mois de l’année 2023, la situation est fort préoccupante, avec des températures plus élevées par rapport aux normales saisonnières et des pluies nettement moindres. Les techniques de jardinage doivent absolument pallier ces handicaps en optimisant au mieux la gestion de l’eau. Ainsi, la protection du sol est essentielle : il faut éviter autant que possible de laisser la terre à nu. D’autre part, les chaleurs précoces accélèrent le cycle de la végétation, avec des floraisons et fructifications plus en avance d’une année sur l’autre. Elles influent également sur le développement des micro-organismes et des petits animaux comme les insectes (pucerons, chenilles et larves diverses). Nous découvrons ainsi une prolifération d’aleurodes, minuscules insectes piqueurs-suceurs aux ailes blanches, amateurs de sève, qui peuvent devenir un problème dans l’environnement confiné, chaud et humide des serres, mais que nous n’avions jamais vus à l’extérieur.

Les insectes piqueurs-suceurs apprécient le réchauffement climatique qui booste la végétation printanière.

21 juin, solstice d’été: le printemps s’achève, l’été astronomique débute, mais il semble avoir démarré bien plus tôt, si l’on se base sur la température et la pluviométrie. Nous continuerons d’observer le jardin pour accompagner son développement en limitant l’arrosage au strict nécessaire.

Un jardin à la végétation exubérante et dynamique (14 juin)
Climat et végétation

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