Si les journées raccourcissent sensiblement depuis la fin août, l’ambiance estivale se prolonge jusqu’à fin octobre avec des températures plus élevées que la moyenne des vingt dernières années et une absence de pluie préoccupante. Néanmoins, le jardin sur les toits de Lilitegia ne semble pas en souffrir, au contraire, et le vert demeure la couleur dominante. La technique de protection des plantes potagères par des haies de hautes plantes sauvages ou cultivées a été très efficace. Elle a favorisé une forte croissance de l’ensemble de la végétation, avec notamment d’épais fourrés de plants de tomates, de framboisiers ou d’aromatiques et de profonds tapis de fraisiers et de courges en tous genres. C’est à peine s’il a fallu arroser tant cette multitude de feuilles protégeait efficacement le sol d’une évaporation trop forte.
La meilleure preuve de ce microclimat généré par les plantes elles-mêmes, c’est la poursuite à cette date tardive de la floraison des fraisiers et des framboisiers et l’arrivée à maturité de leurs derniers fruits encore sucrés et goûteux, mais moins abondants qu’à la forte saison. Toutefois, pour en profiter, les jardiniers doivent être très présents et vigilants car les productions du jardin sont jalousement guettées par de petites limaces à l’odorat très développé le long de leurs antennes rétractables : elles aussi ont apprécié le maintien pendant l’été et ce début d’automne d’une ombre tiède et d’un sol humide au-dessus duquel se déploie une grande diversité de feuilles – et de fruits – à râper et se mettre sous la dent. Les tomates cerises, repiquées à partir de leurs semis naturels, ont littéralement envahi les deux étages de jardins et poursuivent leur floraison et leur fructification alors que l’hiver approche. La production est telle que le rythme des récoltes se révèle insuffisant. Donc, comme l’an passé, les tomates cerises tombées par terre se convertissent en un terreau fertile qui favorise la germination de leurs nombreuses graines (sauf sur les dalles de béton !). Parmi les jeunes pousses répandues en tapis bien trop denses, quelques unes résisteront aux froidures de l’hiver et donneront des pieds précoces, résistant aux maladies et bien acclimatés aux dures conditions qui règnent sur ces toits.
Le jardin a bien récupéré après la coupe et l’arrachage de nombreuses plantes sauvages à la fin août car, fort heureusement, il ne s’est pas produit d’épisode de canicule, de bourrasque ni de grande sécheresse en fin de saison estivale. Profitant de la suppression de haies vives, les plantes restantes ont rapidement colonisé les espaces laissés vacants, de même que les jeunes pousses des semis naturels qui n’ont pas attendu le printemps pour germer. Cet éclaircissement dans les bacs a dévoilé maintes surprises. Dans le jardin des enfants, des fraisiers avaient prospéré sous la couverture végétale et s’étaient multipliés si bien qu’ils fleurissent et fructifient encore à cette date tardive. Il en est de même des tomates enfouies sous les courges, les amas de lianes du liseron ou les massifs de topinambours. Pour ces plantes originaires d’environnements forestiers, aussi bien de zone tempérée que tropicale, l’exubérance et la densité végétale ne leur porte pas tort, bien au contraire. Seules les plantes originaires du pourtour méditerranéen réclament un ensoleillement direct et nécessitent un désherbage alentour pour ne pas s’étioler, faute de lumière, comme le thym ou la sauge sclarée. Chaque semaine, il a fallu veiller à les dégager de leur voisinage envahissant pour les préserver. La linaire commune, une plante sauvage très prisée des insectes pollinisateurs, n’a pas été arrachée car elle n’est pas très haute, demeure bien verte et fleurit en continu depuis des mois.
Alors que nous prenons bien soin de retirer des bacs potagers tout jeune arbre ou arbuste semé par le vent ou les oiseaux, comme le saule roux, le cornouiller sanguin ou même un pittosporum et un laurier sauce, de peur que les racines n’aillent endommager la dalle isolante et le dispositif de drainage, l’entreprise de jardinage, à la demande du bailleur social, l’Office 64 de l’Habitat, a implanté une collection d’arbustes dans les bacs alentour. Sur les conseils du jardin botanique de Saint Jean de Luz, elle comprend des fruitiers, comme le feijoa (goyavier du Brésil), originaire d’Amérique du Sud. Il y en a deux plants, un sur chaque terrasse, car ses jolies fleurs nécessitent une pollinisation croisée (grâce aux insectes) pour donner des fruits qui viennent à maturité en automne. Cela signifie que le pollen des fleurs d’un feijoa ne peut féconder que les pistils des fleurs d’un autre feijoa, l’autopollinisation est impossible. Cet arbuste aux feuilles persistantes est de nature rustique, il s’accommode de sols variés, supporte bien le froid, ainsi qu’une sécheresse passagère. En l’absence de racines profondes, je m’interroge toutefois sur la capacité de ces arbustes à résister aux conditions un peu extrêmes de ces terrasses très exposées, étant situées aux quatrième et cinquième étage, au-dessus de deux immeubles contigus. Déjà, un tamaris qui s’était beaucoup développé près de l’escalier semble en piteux état. Peut-être a-t-il souffert d’un manque d’eau ?
Lorsque nous avons aligné les tubercules de topinambour dans des tranchées peu profondes, il nous était difficile au départ d’imaginer à quel point ces plantes rempliraient bien leur office. En formant des haies denses en bordure des bacs, elles ont canalisé le cheminement des jardiniers amateurs, obligés de les contourner pour pénétrer sur le grand bac de la terrasse supérieure en marchant sur les pas japonais sans piétiner les plantations. En outre, elles ont atténué efficacement les rafales de vent en provenance de la mer et offert une ombre rafraîchissante durant les journées estivales ensoleillées. Leur implantation serrée les a obligées à pousser en hauteur, laissant à la base des tiges dénudées. Ainsi, elles n’ont pas fait obstacle au développement des plantes potagères buissonnantes ou rampantes bien nourries sur le sol préalablement fertilisé par la vesce et le trèfle.
On aurait pu imaginer que la densification des plantes sans désherbage systématique aurait nui à la bonne pousse des légumes. Il n’en a rien été. En fait, chacun a pu faire l’expérience de la bonne santé du jardin et de la faible pression des « ravageurs » (chenilles, limaces, pucerons, punaises, champignons…), car leurs prédateurs (les auxiliaires du jardinier) étaient présents en dépit de cet aménagement très artificiel de bacs géants au sommet des immeubles : oiseaux, araignées, coccinelles… Le travail des jardiniers en a été facilité, d’une certaine façon, car il n’y a pas eu besoin de « lutter », si ce n’est veiller à limiter l’exubérance des plantes sauvages et dégager lorsque c’était nécessaire des espaces pour les semis et les plantations. De même, la présence continue d’une bonne diversité de fleurs sauvages a attiré les insectes pollinisateurs qui étaient donc là au moment où les plantes potagères en ont eu besoin pour ensuite fructifier. Enfin, de façon étonnante, la petite faune du sol s’est aussi développée sans nécessité de l’apporter de l’extérieur, vers rouges, larves d’insectes et autres décomposeurs de matière organique dans les composteurs et les paillis, vers de terre et microorganismes autour des racines des plantes.
En fait, le plus difficile pour les néophytes, au cours de ces derniers mois, a été de ne pas se perdre dans ce foisonnement, de devenir capable de désherber à bon escient (sans arracher les jeunes pousses des plantes potagères difficiles à reconnaître au démarrage par exemple), de surveiller la fructification pour ne pas se laisser déborder en laissant trop mûrir les tomates ou les haricots verts qui passent rapidement à l’étape suivante de la formation des graines. A l’inverse, il a fallu apprendre à attendre pour ne pas cueillir trop tôt les courges dont la tige doit être sèche, ou le maïs dont les grains doivent être bien formés sous leur enveloppe protectrice de spathes qui sèchent à maturité de l’épi. A ce propos, cette année, le champignon (charbon du maïs) n »est pas apparu sur les épis, alors que nous nous étions jurées, Sonia et moi, d’y goûter puisqu’il est aussi prisé outre Atlantique que la truffe chez nous. Dommage !
Les plantes ont des ressources extraordinaires et le jardin est un lieu privilégié pour observer leurs capacités d’adaptation. En effet, ce début d’automne anormalement chaud a engendré des anomalies de développement des fleurs et des feuilles et un étalement de la floraison de certaines plantes. A l’inverse, ces conditions climatiques ont pu inhiber la fructification d’autres espèces. Par exemple, près de chez moi à Anglet et sur la côte basque, les ronces sauvages n’ont quasiment rien donné cette année car les mûres, trop précoces, ont été brûlées par les rayons du soleil et desséchées par manque de pluie, alors qu’une fructification plus tardive en moyenne montagne a donné de bons fruits savoureux et pleins de jus grâce à la moindre insolation et des rosées abondantes. La relative sécheresse estivale a engendré une sénescence précoce de quelques espèces d’arbre dont les feuilles ont jauni et sont tombées bien avant l’heure, alors que ces chaleurs automnales ont permis à d’autres arbres de retarder au contraire cette sénescence, d’amorcer parfois une seconde floraison ou un second débourrement des feuilles, au risque de les fragiliser si un refroidissement brutal se produisait.
L’introduction de plantes étrangères peut être un moyen d’adapter le jardin au changement climatique. En effet, beaucoup poussent chez nous sans difficulté depuis plusieurs siècles, ramenées du bassin méditerranéen, d’Asie, d’Afrique ou des Amériques au gré du commerce international et des politiques expansionnistes européennes. Le changement climatique offre de nouvelles opportunités, mais elles devront s’accompagner de changements culturels, notamment alimentaires. Par exemple, les feuilles et les fleurs d’une plante à la fois médicinale et aromatique comme l’Agastache fenouil (ou Hysope anisée), originaire d’Amérique du Nord, peuvent agrémenter des salades ou entrer dans la confection de tisanes. La Tagète des décombres, originaire d’Amérique du Sud, dont un unique pied a été introduit au jardin, a dispersé ses innombrables petites graines partout dans le grand bac de la terrasse inférieure. Les alignements de cette plante vigoureuse, haute de deux mètres, ont constitué un abri naturel dont ont profité de nombreux légumes dont les plants de pommes de terre (également d’origine sud-américaine). Mais elle aurait pu également être récoltée car, selon les conseils d’un semencier sur Internet, ses jeunes feuilles ont une fragrance de pomme, pamplemousse, rose et citronnelle qui, fraîches, peuvent parfumer une salade, un mesclun ou accompagner un poisson cru. Elles peuvent être aussi infusées dans une crème afin de préparer une panna cotta ou même une crème glacée. Les minuscules fleurs blanc crème sont également comestibles et peuvent décorer un mesclun ou une salade de fruits.
Un petit effort personnel s’avère nécessaire pour s’accoutumer à l’emploi de légumes anciens ou exotiques : les résidents-jardiniers ont tendance à les délaisser, faute de les connaître et de savoir les cuisiner – et d’en apprécier le goût. Par exemple, la poire de terre, ou yacón, originaire des Andes, cousine du tournesol et du topinambour nord-américains, est encore d’introduction récente en France, vendue au rayon des légumes et peu consommée. Pourtant, sa culture est facile, comme nous le constatons, et ses tubercules abondants peuvent aussi bien être mangés crus (avec une consistance croquante et un goût qui rappelle la pomme ou la poire) que cuits. Il en est de même pour le haricot kilomètre dont la couleur rouge et la longueur – immense – étonnent et perturbent. En réalité, il se consomme comme le haricot vert. Si on attend trop, les grains enflent, durcissent, et il vaut mieux alors attendre que la gousse se dessèche pour les récolter en prévision de semis ultérieurs.
Après des précipitations insuffisantes de février à mi-août, la pluie arrive enfin, un peu plus que la moyenne en septembre et encore davantage depuis les derniers jours d’octobre, sans baisse sensible de la température jusqu’à la mi-novembre (d’après le site Infoclimat, données météorologiques de Biarritz). Le jardin prospère plus que jamais et certaines plantes déboussolées par les chaleurs automnales excessives n’ont pas encore pris en compte la venue de l’hiver annoncée par les journées à la durée déclinante et un soleil de plus en plus bas sur l’horizon. Les petites tomates rouges, vertes ou jaunes sont encore tout à fait goûteuses, mais il est désormais trop tard pour l’arrivée à maturité d’autres légumes tardifs. Avant la Sainte Catherine, tout prend racine ! C’est le temps des boutures des plantes ligneuses aromatiques ou des petits fruitiers. Les semis se poursuivent en vue de récoltes printanières ou estivales. Il faut donc faire de la place et ôter les plantes qui ont achevé leur cycle annuel. Elles serviront de paillis pour protéger le sol des intempéries et nourrir la microfaune qui les convertira en humus nourricier.
Le jardinage avec Sonia devient pour les enfants une chasse au trésor. Topinambours, patates douces, yacon ou poire de terre se révèlent à qui sait les chercher en grattant la terre au pied des tiges desséchées. La nuit tombe de plus en plus tôt. Pour les jardiniers-résidents qui travaillent, cela devient compliqué d’assister aux animations. Mais la motivation demeure, et le jardinage se poursuit à la lampe de poche après 18 heures ! Pour les autres, ce sera plutôt le week-end, et les tâches à accomplir sont transmises entre résidents et par le réseau WhatsApp du groupe.
A chaque animation du mercredi, la première tâche consiste à observer le jardin. D’une semaine sur l’autre, ses métamorphoses sont sensibles, des productions arrivent à maturité, des plantes annuelles doivent être retirées pour laisser place à de nouveaux semis, des plantes sauvages mettent à profit les espaces nouvellement libérés. Par mesure de prudence, nous retirons la morelle noire dont les baies toxiques pourraient attirer les enfants. Nous extrayons aussi tout futur arbuste tant qu’il est jeune, de peur que ses racines ne viennent endommager la structure des bacs et mettre en danger l’étanchéité du toit. En ce moment, ce sont surtout les cornouillers sanguins qui germent dans les bacs. Leurs fruits noirs, des drupes, contiennent un noyau qui est sans doute rejeté dans les fientes des oiseaux qui fréquentent le jardin suspendu. Utilisés en phytothérapie et, autrefois, pour la vannerie, ces jolis arbustes auraient leur place au bas des immeubles car ils sont aussi fort décoratifs avec leurs rameaux rouges dépouillés de leurs feuilles en hiver. Quant à la grande bardane aux grandes feuilles douces sur le dessus, elle possède une racine pivot comestible, à l’instar de la carotte, et c’est aussi une plante médicinale.
Les températures estivales de ce début d’automne engendrent des perturbations chez les plantes. Beaucoup entament un nouveau cycle de floraison et fructification, en dépit de la raréfaction des insectes butineurs, tandis que d’autres croissent inconsidérément, au risque de voir les jeunes pousses souffrir si le froid venait à surgir brutalement. C’est ainsi que nous constatons un phénomène très étonnant, qui survient d’ordinaire au printemps: la présence de pucerons – et même d’une cochenille – sur les plants de fèves ! D’ordinaire, nous semons justement les fèves en fin d’été ou en automne de façon à ce que les tissus de leurs tiges et de leurs feuilles soient suffisamment coriaces au printemps pour décourager la multiplication des pucerons. Quelles perturbations !