Gestion holistique des limaces

Hervé Coves : La gestion holistique des limaces (transcription de la vidéo, Cathy Constant-Elissagaray)

L’agronome Hervé Coves explique les cycles de vie des limaces et comment leurs populations s’autorégulent quand nos cultures sont intégrées dans des systèmes naturels. Approche permaculture.

Limaces, accouplement (Anglet)

Qu’est-ce que les limaces évoquent pour vous ? La bave, les laitues, le « monstre » du jardin… Et vos interactions avec les limaces ? On les écrase, on les noie dans la bière, on met du sel, de la sciure, de la farine, des coquilles d’œufs, de la cendre, du bicarbonate de soude, des molluscicides… Pourquoi assassiner les limaces ? Si on est obligé de les assassiner pour vivre, c’est qu’il y a quelque chose qui cloche.

Des limaces partout sur Terre

Il y a un principe dans la vie: la vie est belle ! Des limaces, il y en a partout sur Terre. Sur les îles subantarctiques, par exemple aux îles Kerguelen, il n’y a que quatre espèces de plantes, et pourtant, il y a des limaces. Dans les forêts vierges, où il y a des centaines de milliers, peut-être des milliards d’espèces différentes, il y a des limaces. Les limaces (plus généralement les gastéropodes, qui comprennent aussi les escargots) peuvent vivre partout. Toutes ces bestioles sont là en abondance dans tous les écosystèmes.

Les limaces et la truffe

Truffe

Si les limaces sont partout, c’est qu’elles ont une fonction, un rôle. Lutter contre les limaces, c’est un travail compliqué, elles sont difficiles à maîtriser dans le potager. Dans certains écosystèmes, pourtant, il n’y a pas autant de souci. Je vais vous faire part d’une expérimentation qui a été faite dans les années 1980 par Albert Verlhac, grand spécialiste de la truffe.

Dans une exploitation, la truffe était très mangée par les limaces. Il organisa différemment plusieurs zones, dans l’une, les limaces étaient éradiquées par des produits chimiques, dans une autre elles étaient éliminées à l’aide de pièges à la bière, et il restait une zone témoin où rien n’était fait. La lutte se fait en automne (septembre, octobre, novembre), qui est la saison de récolte des truffes. Dans toutes les zones traitées, la récolte fut extraordinaire, alors que dans la zone témoin, ce fut comme d’habitude, les truffes étaient toutes grignotées. Les expérimentateurs se réjouirent, ils crurent que c’était gagné. Mais l’année suivante, il n’y eut pas une seule truffe sur toutes les zones traitées. Il n’y en avait que dans la zone témoin ! Quel était ce mystère ? Les limaces étaient devenues indispensables à la vie des truffes. Sans limaces, pas de truffes. Pourquoi ?

Radula

C’est un chercheur de Limoges et Gabriel Callot, INRA (UFR Science du Sol, Montpellier), qui en découvrirent la raison. Les limaces mangent des truffes avec leur radula (racloir). Elles les digèrent, mais les spores ne sont pas assimilées par leur système digestif. Les limaces font un gros caca visqueux à la surface du sol. Le ver de terre le mange, avec un peu de terre qui est autour. Dans son système digestif, il le mélange, l’incorpore, l’homogénéise et il excrète ses turricules qui contiennent aussi les spores non digérées. Dans ces turricules, beaucoup de bactéries se développent et les truffes naissent.

Un autre chercheur de Brives montra que beaucoup de champignons, et pas seulement la truffe, ont leur naissance liée à la présence de diastases, des enzymes digestives de l’estomac qui permettent d’initier le développement des champignons. – Un champignon, c’est un animal qui est mis à l’envers: son appareil digestif est à l’extérieur de ses filaments (les hyphes qui forment le mycélium) -. Tout se passe comme si le champignon avait externalisé dans des organes bien spécifiques la production de ces enzymes digestives. Si l’on se place du point de vue du champignon, avec son « regard », il utilise les différents organismes autour de lui comme des éléments de sa vie et de son organisation.

Sols tropicaux/sols tempérés

Le sol est un appareil digestif. Quand on compare les différents types de sol sur la planète et que l’on considère leur mode de digestion, on peut distinguer deux grands modes (mais il y en a beaucoup d’autres): 1) les sols tropicaux; 2) les sols des régions tempérées.

Termitière (Taïwan, 2018)

1) Dans la zone intertropicale, il n’y a pas de sol. L’essentiel de la biomasse qui tombe par terre est directement assimilé par des termites. Chez mon frère, en Guyane, un arbre était tombé dans le jardin. Je lui proposai de l’aider à le débiter, mais il me dit que ce n’était pas la peine. Effectivement, à la fin de mon séjour, au bout d’un mois, l’arbre avait été totalement digéré, mangé par les termites. C’était pourtant un arbre de beau diamètre, un Cécropia. Dans l’appareil digestif des termites se trouvent des champignons, et certains termites cultivent également des champignons. Ceux-ci digèrent la lignine et ensuite les bactéries finissent de décomposer la cellulose. Les excréments des termites remettent en circulation tous les éléments utiles au fonctionnement de l’écosystème. Donc tout se fait dans le système digestif des termites à l’aide des champignons et des bactéries qui s’y trouvent.

Collembole sur houblon (Entomobrya multifasciata) (photo)

2) Chez nous, c’est différent. Chaque fois qu’un organisme meurt, il commence par être digéré par des champignons qui détruisent la lignine. Puis les insectes, collemboles et autres Aptérygotes, plein de bestioles mangent les champignons, leurs excréments sont mangés à leur tour par les vers de terre qui les remélangent à un peu de sol. Dans leur appareil digestif, les vers de terre forment des agrégats composés de minéral, de végétal délignifié (seulement la partie cellulosique). Les fibres de cellulose forment une feutrine qui va tout agglomérer et donner de la stabilité aux agrégats. Ces structures hyper-poreuses permettent à des bactéries de se développer en très grand nombre et de reminéraliser tous ces éléments. Ainsi, la digestion se fait à l’extérieur, dans les agrégats. Tous les nutriments redeviennent disponibles pour un nouveau cycle du vivant.

Donc, quand un sol a une vie, avec des champignons en abondance, l’essentiel de la fonction de digestion est assuré par les champignons. Les limaces n’interviennent que dans un cas particulier. Lorsqu’une salade pousse, elle commence à perdre ses feuilles les plus anciennes à la base du pied. Elle offre ainsi à la limace une ressource alimentaire plus importante. En effet, les limaces sont de petits appareils digestifs ambulants. Elles viennent manger cette feuille, la métabolisent et leurs excréments sont ensuite mangés par les vers de terre. A chaque fois qu’il y a une abondance de quelque chose, elles arrivent pour métaboliser et remettre dans le circuit. S’il y a beaucoup de nourriture, les champignons ne sont pas capables de le faire tout seuls, ils ont besoin de la collaboration des limaces.

Les limaces régulent les pathologies

Oïdium sur courgette (Lespès, 11/09/2019)

Certaines limaces ont des vitesses de reproduction très rapides (à l’instar de nos globules blancs) pour attaquer la matière en décomposition quelque part. Sans limaces, ces feuilles resteraient à la surface du sol. L’exemple de la salade est bon, car c’est un végétal qui est souvent attaqué par certaines maladies, certains champignons: pas des champignons qui digèrent, non, ce sont des champignons pathogènes (oïdium, botrytis…). Quand une feuille de salade commence à dépérir, le champignon parasite va se développer de façon importante et émettre des arbuscules à la surface de la feuille qui vont diffuser un nombre extraordinaire de spores. En fait, les limaces interviennent comme un élément de régulation de toutes ces pathologies. Une course se met en place entre le champignon pathogène et la limace. Un grand nombre de maladies pathogènes est régulé par les limaces, surtout chez les légumes aux feuilles très tendres. Il y a aussi les petits collemboles qui mangent les champignons à la surface des feuilles. Dès que l’écosystème devient très simplifié, toutes les redondances diminuent, les maladies explosent parce qu’il n’y a plus de limaces. La limace est donc un élément du gros appareil digestif qu’est notre sol. Il faut donc trouver d’autres stratagèmes que leur élimination pour réguler les limaces.

Introduire de la diversité

L’escargot des îles Kerguelen (Notodiscus Hookeri)

Dans quelles conditions les limaces prospèrent-elles ? Si on reprend l’exemple de la forêt tropicale en Guyane, il existe un guide naturaliste sur les mollusques terrestres, un gros livre avec une grande diversité d’espèces. Mais quand on se balade, on n’en voit aucun ! L’écosystème bien stabilisé, qui contient beaucoup de limaces en nombre d’espèces, n’en a en réalité que très peu en terme de biomasse. Pour arriver à un équilibre aussi parfait, il suffit d’attendre 580 millions d’années et le problème des limaces du jardin sera complètement réglé !!! Inversement, dans les îles Kerguelen où il n’y avait qu’une espèce de petit escargot, à partir du moment où on y a mis le pied, on a amené de la boue sous nos chaussures, avec l’apport de nouvelles plantes, des limaces et escargots ont été introduits à notre insu, et il en a résulté une grande prolifération. Donc, première règle des écosystèmes: il faut qu’il y ait de la diversité.

A quelle vitesse se déplacent les limaces ? La limace vit dans le sol, la nuit elle se nourrit à la surface de litière organique morte, qui commence à peine à se décomposer. Quant aux gros escargots (les « gros blancs »), ceux qui sont récoltés pour les manger, ils sont très territoriaux, ils se cantonnent à un secteur. Hervé Coves raconte qu’il a eu l’idée d’inscrire un numéro sur les coquilles des escargots vivant sur sa propriété pour éviter que les gens les lui subtilisent. Puis il s’est aperçu que ces numéros lui permettait de les repérer. Il a ainsi remarqué qu’en une nuit, un escargot peut se déplacer d’un côté à l’autre de sa maison, soit une distance de 30 mètres. Il pense que les limaces ont des facultés de déplacement similaires. Il raconte encore que les enfants font des concours de vitesse entre limaces et escargots (avec les grosses loches rondes et surtout les grandes noires qui gagnent à tous les coups). Donc, les limaces bougent beaucoup.

Favoriser la présence de champignons

Dans notre écosystème tempéré, si on veut arriver à réguler les limaces, il faut veiller: 1/ à la biodiversité, 2/ à faciliter la fonction digestive de notre système. Celle-ci est principalement assurée par les champignons. Quand il n’y en a plus dans le sol (en culture intensive où l’on ne pense pas à remettre de la lignine dans le sol), s’il n’y a pas d’agroforesterie, s’il n’y a pas d’arbres à côté, les sols s’appauvrissent en lignine, on perd cette qualité organique dont se nourrissent spécifiquement les champignons, donc ils disparaissent. La nature est redondante, ainsi les limaces prennent leur place, leur fonction de digestion. Pour y remédier, il faut apporter du bois, ce qui favorise la présence de champignons qui sont maintenus avec tout leur cortège de collemboles, etc. Les limaces n’interviendront que dans des cas limite, lorsqu’il y aura soudainement un afflux d’énergie quelque part, une salade en train de pourrir, quelques feuilles tombées au sol, encore pleines de leur substance, pas encore sèches. Les limaces n’interviendront qu’à ces moments-là, en se déplaçant d’un site à un autre pour consommer cette matière organique fraîche en début de décomposition. Les limaces aiment donc bien le compost. Les limaces peuvent s’attaquer un peu aux cultures, mais comme leur fonction dans le système, c’est de digérer, eh bien si tout est déjà digéré par les champignons, la biomasse de limaces sera très faible, car elles n’auront pas grand chose à manger.

Moutarde pour les limaces

A l’inverse, si les champignons disparaissent, elles prolifèrent. Le compost est intéressant pour les limaces car il contient beaucoup de matière organique. Il y a certains types de vers (les petits) qui s’attaquent également à cette matière organique, mais à un stade légèrement plus abîmé que celui des limaces. Les limaces préfèrent une matière organique juste morte. Elles peuvent manger quelque chose de plus décomposé, mais elles n’aiment pas ça. Par contre, au printemps, quand elles ont passé tout l’hiver et mangé tout ce qui était jeune et frais, les « jeunes cadavres », dès qu’elles verront les premières jeunes plantules, même si ce n’est pas leur régime alimentaire habituel, elles les mangeront car elles sont trop affamées.

Des crucifères pour les limaces

Quand a-t-on des problèmes dans le jardin ou le champ maraîcher ? Au printemps et à l’automne. Au printemps, elles ont trop faim, elles mangent tout. Une façon de réguler les limaces, c’est d’avoir une attention particulière pour elles, de les nourrir pour leur permettre de passer ce cap un peu difficile. – A condition que, derrière, il y ait un système digestif très opérationnel qui permette de passer cette phase un peu critique. – Il se trouve que les limaces sont très gourmandes de jeunes pousses de crucifères, une moutarde, un colza, tout ce qu’on utilise en engrais vert. Donc, une stratégie possible, c’est de mettre à l’écart du potager des plantations qui nourriront les limaces. Elles se déplaceront là-bas, attirées par l’odeur, et laisseront le potager plus au calme.

Autre moyen. La limace va s’attaquer aux jeunes plantes, toutes petites, car les plus grosses, proportionnellement, même si elles sont grignotées, seront moins impactées. Donc (c’est une proposition de Jean-Marie Lespinasse), on pourra préparer les plants au printemps dans de petits godets, situés dans des secteurs bien protégés, sur des tables, éventuellement dont les pieds sont immergés dans des bassines. Les plants plus matures seront ensuite repiqués au jardin.

Quand on part d’un sol dégradé et que l’on veut l’aggrader, il faut enrichir le sol en matière organique. Cette phase d’aggradation, qui suppose un surcroît de matière organique, va se traduire par un surcroît de limaces. Donc, idéalement, il faudrait partir d’un sol forestier déjà constitué, avec une biomasse importante, un nombre de bestioles important, ainsi, il n’y aurait pas trop de souci. Il faut arriver à produire rapidement un écosystème capable de gérer les limaces.

Les prédateurs

Carabe doré dévorant une limace

Les limaces ont des prédateurs: canards, carabes, hérissons, poules, oiseaux… Hervé Coves raconte que, quand il était gamin, il allait ramasser les limaces pour aller les donner aux poules (chez Mémé Totoche) – une bonne façon d’utiliser le dynamisme des enfants -. Si les limaces étaient trop grosses, ils les écrasaient à coups de bâton et les poules se précipitaient pour les manger. Les canards supportent de manger quelque chose de gros et de gluant, leur appareil digestif est conçu pour assimiler les limaces (on transforme ainsi les limaces en canard, en hérisson, en poule…). Dans l’inter-culture, on peut prévoir un moment où les poules et les canards viendront manger les limaces et les autres parasites, vers blancs, larves de hanneton, susceptibles de s’attaquer aux racines des plantes. On peut utiliser un poulailler mobile que l’on déplace de planche en planche. Pendant tout l’hiver, on leur fait parcourir l’ensemble du potager et au printemps, on fait les premiers semis sur ces espaces. Le microbiologiste et expérimentateur japonais Masanobu Fukuoka mettait des canards dans ses rizières sur une échelle bien plus grande qu’un simple potager. On peut aussi faire pâturer (comme en Corse) le cochon, le sanglier, très amateur de limaces et qui nettoie le sol de cet excédent. De même, on peut implanter une nouvelle culture juste après son passage.

Staphylin

Les staphylins, dont les élytres s’arrêtent au milieu du corps, sont de super-prédateurs. S’ils sont là, cela signifie qu’il y a une grande diversité d’insectes (à l’instar de l’aigle). Comment attirer toutes ces bestioles, ces prédateurs de limaces ? La base de leur régime alimentaire, ce sont les insectes, donc il faut favoriser leur présence par du bois en décomposition. Soit on enfouit du bois dans le sol, soit on dispose des tas de bois en périphérie du potager. Cela induira la présence de champignons, donc de collemboles (base de la chaîne alimentaire). Au printemps, lorsque le sol se réchauffe, le nombre de collemboles diminue fortement car ils se font manger. Les staphylins, les carabes à la recherche de nourriture vont explorer la parcelle et réguler les limaces.

Créer de l’hétérogénéité

Il faut créer des hétérogénéités. Le tas de bois sert de pépinière à prédateurs de limaces. Puis il faut organiser le transfert de la pépinière vers le potager. Les prédateurs le font naturellement dès qu’ils manquent de nourriture à la fin de l’hiver, mais on peut aussi attirer les limaces vers ces tas de bois en plantant autour des crucifères (pièges à limaces). On régule ainsi ce petit excès de limaces au printemps. Ensuite, dès que la végétation se développe, les limaces ne sont plus un problème jusqu’à l’été. En été, tout s’arrête, il fait trop chaud, les limaces restent dans le sol dans un cocon de mucus. Elles redémarrent à chaque grosse pluie. Rien n’a digéré les laitues et les autres feuilles mortes à la surface du sol. C’est là que toutes les bêtes accourent, et comme il n’y a plus de jeunes plants, elles s’attaquent aussi à des plants plus matures (salade, blette, radis). Fin août, septembre, octobre, quand une deuxième pousse redémarre à l’automne, la plante a suffisamment d’énergie pour prendre le dessus.

Régulation des pics

Mare pour les limaces et leurs prédateurs

Comment réguler ces pics ? Si le sol a une bonne capacité digestive, normalement il n’y a pas trop de souci, sauf des années où la capacité digestive du sol décroît parce qu’il fait trop sec. Les champignons se développent moins bien et les limaces peuvent prendre le relais. C’est là où il faut attirer les limaces hors de son potager, sans les tuer, en utilisant le même genre de stratégie qu’au printemps. On n’aura pas de jeunes pousses, mais plein de détritus (vieilles feuilles de salade…) qu’on met normalement dans le compost. Disposer en périphérie ou dans les allées du potager pour focaliser les limaces à ces endroits particuliers où elles ont une nourriture qui leur convient. Il y a toujours le souci des crucifères (les radis). Pour y remédier, ménager des cultures de crucifères pour les limaces et organiser la mise en relation avec les prédateurs (près des tas de bois, un peu à l’ombre, dans un lieu un peu humide, frais, qui permet à la vie de ne pas s’endormir au cœur de l’été. Même quand il fait très chaud, il faut essayer d’aménager toute ces hétérogénéités du milieu, de favoriser des endroits de fraîcheur, d’ombre, qui conviennent bien à la limace.

Quand arroser ? Si j’arrose le soir, à la tombée de la nuit, les limaces vont avoir un havre de fraîcheur et d’humidité, elles vont venir au potager. Il vaut mieux créer ce havre autour du compost, du bois qui pourrit, là où il y a beaucoup de prédateurs -« Il faut avoir une attention particulière pour les limaces »-. Elles resterons endormies dans le sol chaud et sec du potager. Inversement, si on arrose le matin, les limaces, avant que la chaleur soit trop forte, n’ont pas trop le temps de se réveiller. Donc, il faut établir une rupture, une frontière entre le moment où la limace vit et celle où la plante vit, en limitant les tranches horaires. Si on a une mare en périphérie, en bordure, à 10-20 m, c’est un lieu intéressant, avec de la fraîcheur, des limaces, des canards, un écosystème qui les régale, avec des tas de bois et des crucifères.

Et ça marche ! Tous les écosystèmes anciens en France qui contiennent les ancêtres de nos plantes cultivées comportent également des limaces. L’équilibre s’est fait depuis la dernière glaciation, ces milieux existent et se sont maintenus jusqu’à aujourd’hui malgré la biodiversité. Donc, il n’y a aucune raison que ça ne marche pas. La limace a une fonction digestive. Si elle prospère, c’est que le sol a un problème de digestion. Essayez d’envisager les limaces sous cet angle, et, tout seul, vous arriverez à régler ce problème gastrique de la planète. « La vie est belle ! »

Questions-Réponses

Cloporte, posture de défense

Les cloportes, les détritivores ont la même fonction que la limace. Le cloporte intervient à un stade où la matière organique est légèrement plus dégradée que pour la limace. Quels sont les stades de dégradation ? Fraîchement coupée, nous mangeons la plante (ou les chèvres, les vaches…). Si la plante a une petite maladie, la feuille avec une petite nécrose va attirer les limaces. Toutes les feuilles malades attirent les limaces. Mais c’est de la matière organique qui est juste en train de mourir. Au stade ultérieur, c’est le cloporte qui intervient. Après, toute une chaîne de bestioles spécialisées selon le degré de dégradation de la nourriture. Une nécrose fonctionne comme le purin dont l’odeur attire les limaces. Le message émis par la nécrose, par la matière organique qui se décompose, est capté par la limace. Beaucoup de purins attirent les limaces. Il y a des limaces sur tous les sols, acides ou calcaires, et sous tous les climats. Les tardigrades, qui ont les mêmes fonctions que les limaces, mangent les algues qui meurent à la surface de la neige.

Les limaces sont capables de pondre très vite et très souvent. A partir du moment où elles ont à manger en abondance, elles pondent. Les populations peuvent ainsi se développer très vite. Dans les sols où la fonction digestive est épuisée, où il n’y a pas de bois, où il n’y a plus de champignons, les limaces peuvent prendre très vite le dessus et détruire des parcelles entières très rapidement. Pour sauver la culture, on met des produits chimiques qui entretiennent le processus sans régler le problème qui revient chaque année. Mêmes causes, mêmes effets.

Démarrage de céréaliers bio

A la fin des années 1980, les producteurs bio qui cultivaient des céréales sous couvert végétal on eu comme premier problème à régler celui des limaces. Ils ont mis un peu de produits chimiques pour le régler. Quand on met de la matière organique, cela favorise le développement des limaces. Le système arrive à être vertueux quand la digestion s’opère correctement. Chez nous, c’est le rôle des champignons. Dans les systèmes tropicaux aussi, sauf qu’ils se trouvent à l’intérieur des termites, ils ne sont pas dans le sol, il n’y a pas de sol. Il y a énormément de termites sous les tropiques. Chez nous, s’il n’y a pas de champignons, tout un pan de l’écosystème manque et donc les limaces se développent. On est obligé de passer par des phases un peu compliquées où il y a beaucoup de limaces (cas fréquent lorsqu’on débute un potager). Pendant des années, les agronomes prônaient un taux de matière organique dans le sol de 2% (Hervé Coves y compris, puisqu’il travaillait au sein de la chambre d’agriculture). Ils étaient de bonne foi, mais ils ont contribué à la chute du taux de matière organique dans le sol. En passant à l’agriculture biologique, on a vu qu’il fallait de 4,5 à 5% de matière organique dans le sol, voire davantage. Donc, quand on en remet dans le sol, la phase de multiplication des limaces est difficile à gérer. Quand on a compris qu’il fallait de la lignine dans le sol, on a mis en place une régulation des limaces. On peut tendre vers ce système. Chez les producteurs bio installés depuis un grand nombre d’années, les limaces sont rarement un problème, sauf sur des cultures spécifiques comme les crucifères qui vont les attirer. Maintenant, on pratique les associations de plantes, celles que la limace aime bien mêlées à d’autres moins appétentes. On trouve toujours une plante que la limace préfère à celles que l’on cultive.

Le BRF

L’épandage de BRF permet de remettre de la lignine dans le sol, mais il faut attendre que les champignons s’installent. Il y a des champignons strictement décomposeurs, et il y a tout le cortège des champignons mycorhiziens. Ce sont surtout ceux-là qui sont importants pour la digestion. Il faut qu’ils soient en lien avec des plantes ligneuses, des arbres, ou avec des gloméromycètes, un autre type de champignon qui est sur certaines familles, surtout des rosacées. S’il y a des arbres vivants qui permettent aux champignons de survivre au moment où il n’y a plus grand chose à manger, cela permet d’avoir un système fongique extrêmement réactif. Dès le début du printemps, les champignons fixés sur les racines des arbres démarrent. Dont, le BRF favorise la quantité de matière organique à la surface, qui va favoriser les limaces, mais pour que ce soit durable, il faut des arbres ou des arbustes vivants. C’est ce qui se passe dans un système forestier qui comprend des arbres vivants et des branches mortes. On reproduit artificiellement cette ambiance avec les tas de bois mort.

Il y a des limaces – ou des escargots – pour tout. L’extrait au vinaigre ou à l’huile d’ail ou du purin, pulvérisé sur les feuilles, est efficace pour éloigner les limaces. C’est facile sous serre, mais dehors, à la première pluie tout se lessive et c’est justement le moment où les limaces arrivent. Donc l’efficacité de ce traitement est surtout en serre, à l’abri de la pluie.

Les campagnols

Campagnol roussâtre

Hervé Coves a écrit un article « Mycophagie du campagnol« . Les petits campagnols terrestres mangent essentiellement du champignon. Ils ont un rôle important, ils sont à peu près résistants à toutes les toxines des champignons, ils ont un appareil digestif adapté: ils peuvent manger sans problème une amanite phalloïde. Les campagnols ont un appareil digestif très sélectif. Certaines spores sont digérées, d’autres pas. Ils ne digèrent pas les spores des champignons mycorhiziens, associés aux plantes, les basidiomycètes (champignons à chapeau). Les campagnols permettent de maintenir ce type d’association fongique et favorisent par exemple la production de truffe. Quand ils créent une pression sur une catégorie de spores, les autres ont plus d’espace pour se développer, ils propagent les spores. En creusant leurs galeries, ils créent des zones plus sèches (au-dessus de la galerie) qui constituent une niche écologique pour certains champignons qui préfèrent un milieu plus sec. Quand les campagnols n’ont plus de champignons à consommer, ils se rabattent ailleurs. C’est notre système de production qui a favorisé la multiplication du campagnol terrestre. Autrefois, ils étaient moins ravageurs. C’est la conjonction de différents phénomènes. 1/ On ne fait plus de foin, on fait de l’ensilage. C’est à dire qu’on coupe l’herbe très tôt, ce qui favorise pour la deuxième pousse toutes les plantes à rosette comme le pissenlit. Avantagé, il se développe plus vite que l’herbe. En favorisant le pissenlit, on offre des racines à manger au campagnol qui les adore. Si la pelouse est souvent fauchée, on voit à la repousse le pissenlit et la pâquerette. Sinon, d’autres plantes poussent. 2/ On sème du raygrass, une graminée dont les campagnols sont très friands. Dans les parcelles avec la fléole, une graminée qui est plus difficile à implanter artificiellement, il faut attendre trois-quatre ans pour qu’elle se développe. Dans tous les systèmes rapides, où on veut atteindre tout de suite une grosse production, on ne sème pas de fléole. Les campagnols ne la consomment pas. Si la prairie est naturelle, elle a une diversité végétale importante, et le nombre de plantes susceptibles d’être mangées par le campagnol est beaucoup plus faible, donc il ne prolifère pas. Une expérience a été faite dans le Jura pour établir ce lien entre ensilage et niveau de diversité végétale. Le problème, c’est que cette solution doit être adoptée sur tout un territoire. Le système entier de production de l’élevage doit changer. 3/ Il y a aussi le problème des prédateurs de campagnols dont le nombre chute. Le renard est toujours chassé. Pourtant, il est efficace. Si l’on compare le dégâts sur les poules opérés par les renards et les dégâts causés par les campagnols, on constate que l’argent dépensé pour la destruction chimique des campagnols (argent public), est bien supérieur à l’argent qu’il faudrait pour rendre les grillages plus efficaces autour des poulaillers. Ce gaspillage énorme d’argent public est indécent ! Il n’y a pas de solution individuelle. Pour le campagnol, elle se trouve à l’échelle du territoire, au contraire de la limace dont les difficultés peuvent être résolues à l’échelle individuelle. C’est ensemble qu’on s’en sortira…

Manger les limaces ?

Escargots et limaces interviennent au même moment, sauf que les escargots vivent à la surface du sol alors que les limaces s’enterrent. La limace est-elle comestible ? L’intérieur oui, mais elle aura la toxicité de ce qu’elle aura ingurgité. On s’en sert également à des fins médicinales (mucus, ou autre) et de sorcellerie. Les limaces mangent leurs congénères, c’est du cannibalisme. La destruction des limaces permet de ne plus voir le problème, mais pas de le résoudre. Comme nous, le sol a besoin d’un régime équilibré.

Gestion holistique des limaces
Mot clé :

4 commentaires sur “Gestion holistique des limaces

  • 4 février 2021 à 19 h 38 min
    Permalink

    Bonjour,

    A propos de l’implication des limaces dans la reproduction des truffes, je souhaiterai lire un rapport scientifique dessus (pour aller plus loin que la vulgarisation), mais je n’ai pas réussi à trouver. Avez-vous toujours le sources qui vous ont permis d’écrire cet article ?

    Cordialement,

    Répondre
  • 7 juin 2021 à 18 h 00 min
    Permalink

    Traduction de l’article:
    Effet de la mycophagie par les limaces sur les spores de Tuber aestivum (Truffe blanche d’été)
    Points forts
    • L’ingestion de spores par les limaces engendre la rupture complète de l’asque (cellule reproductrice, caractéristique des champignons ascomycètes, à l’intérieur de laquelle se forment en général huit spores).
    • Des analyses par microscopie à force atomique (AFM) et microscopie électronique à balayage (SEM) montrent que, après la digestion des limaces, la paroi des spores est partiellement dégradée.
    • Les limaces récoltées sur un sol truffier contiennent des spores de Tuber détectables par “barcoding” moléculaire (identification de l’ADN).
    • Le passage des spores de Tuber à travers le système digestif des limaces favorise l’infection mycorhizienne des semis de Quercus robur (chêne pédonculé).
    Résumé
    Les truffes du genre Tuber produisent des fructifications souterraines qui ne sont pas en mesure de disperser activement leurs spores dans l’environnement. Pour cette raison, les truffes dépendent des animaux mycophages pour leur reproduction. La consommation de champignons (mycophagie) est un comportement typiques autant chez les vertébrés que les invertébrés. Les mammifères, spécialement les rongeurs, sont le groupe de mycophages le plus étudié et on a constaté qu’ils consomment une grande variété de champignons. Parmi les invertébrés, la mycophagie est documentée chez les arthropodes, mais rarement chez les mollusques. Dans notre étude, nous avons évalué l’effet sur la morphologie et la colonisation mycorhizienne des spores de Tuber aestivum après leur passage à travers le système digestif des limaces (Deroceras invadens) et, pour comparaison, de la souris domestique (Mus musculus). Les microscopies optique, électronique à balayage et à force atomique ont révélé que la digestion, spécialement chez les limaces, libérait les spores de leur asque et modifiait leur morphologie. Cela semble être la raison pour laquelle nous avons observé une amélioration de la mycorhization du chêne après ingestion des spores par des limaces et des rongeurs, comparativement à l’inoculation de spore fraîche. Nous avons également démontré par barcoding moléculaire que les systèmes digestifs des limaces échantillonnées sur un sol truffier de Tuber melanosporum (truffe noire) contiennent des spores de cette espèce et de Tuber brumale (truffe noire d’hiver), suggérant en outre que des invertébrés sont des disperseurs efficaces de spores de Tuber.

    Répondre
  • 9 juillet 2021 à 21 h 05 min
    Permalink

    Dans cet article, il y a une part de vérité, mais il n’y a pas que les limaces qui rejettent après digestion seulement les spores, il y a dans la microfaune d’autres invertébrés qui font la même chose. Lorsqu’un morceau de truffe est ingéré, il contient de la gléba et des spores. Les sucs gastriques qui contiennent des enzymes contribuent à dissoudre les protéines, et il ne reste que les spores qui, du fait qu’elles ne sont plus protégées par l’asque et la gléba, deviennent vulnérables. L’érosion de la coque par les bactéries la rend poreuse, et au contact de substances nécessaires, la germination a lieu, entre autres l’eau.
    La comparaison avec de la truffe fraîche est compréhensible,car il faut bien plus de temps avant que la spore soit libérée de la gléba et de l’asque, et soit en contact avec tous les éléments, mais cela n’empêchera pas dans un temps plus long la germination, et une mycorhization moins dense qu’avec des spores libres qui vont germer rapidement et en même temps.

    Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *