Plessage au CPIE Seignanx

Entrée du CPIE Seignanx et Adour du côté du parking des visiteurs

Le mardi 8 février 2022, une initiation au plessage de haie champêtre est prévue au programme du CPIE Seignanx et Adour (Centre permanent d’initiatives pour l’environnement). Le plessage des haies vives, Zerralia en basque, est une technique ancestrale décrite par Jules César dans «La guerre des Gaules» et répertoriée au Patrimoine Culturel Immatériel de France. Ce mode de conduite des haies champêtres consistant à plier et entrelacer selon un principe particulier des végétaux vivants était utilisé pour sa grande efficacité dans un but défensif ainsi que pour le parcage des animaux. Jadis très répandu, cette pratique ne subsiste aujourd’hui dans le sud-ouest de la France que dans certaines zones très localisées des Pyrénées (par exemple à l’intérieur du Pays basque et du Béarn). Très esthétiques, ces clôtures vivantes, refuges des auxiliaires de culture et de la faune sauvage en général, remplaceront les grillages et fils barbelés pour apporter une note de rusticité et d’authenticité aux paysages ruraux et espaces d’accueil du public. Bien conduites, elles produiront de façon durable une formidable biomasse ligneuse (bois de chauffage, BRF et fourrage) ainsi que les ressources mellifères indispensables aux pollinisateurs, dont l’emblématique Abeille domestique. (Texte de présentation de Jaime Jimenez – Paysage de Mares Haies d’Arbres) 

Joli cadeau au CPIE confectionné par une participante: vannerie en jonc.

C’est Jaime Jimenez qui sera notre guide pour cette journée entière d’initiation. C’est un homme modeste dont nous sentons la compétence sans qu’il ait besoin d’en faire étalage. Je découvrirai plus tard qu’il est à la tête d’une entreprise à but non lucratif d’assistance technique pour la gestion et l’aménagement des espaces ruraux « Paysage de Mares Haies d’Arbres » basée à Arrast – Larrebieu. Il est prescripteur BCAE7, ce qui signifie qu’il est agrémenté pour les expertises en vue du déplacement de haies pour de meilleures Conditions Agricoles et Environnementales dans le cadre du maintien des particularités topographiques. Il est aussi prestataire de formations, opérateur agroforestier, membre de l’AFAC-agroforesteries et référent agro-écologie et biodiversité de l’association Arbre et Agriculture en Aquitaine.

Jaime Jimenez nous explique en quoi consiste le plessage des arbres d’une haie.

Parmi ses nombreuses qualifications, je relève aussi qu’il est arboriste grimpeur, moniteur de taille du Prunier d’Ente (celui qui donne les fameux pruneaux d’Agen). Il est formé en éthologie, fin connaisseur des blaireaux, des batraciens, de la faune cavernicole et cavicole inféodée aux vieux arbres creux. Il a participé pour le CELRL – LPO (Conservatoire du littoral – Ligue de protection des oiseaux) et CEN (Conservatoire des espaces naturels) à des suivis et programmes de marquage de rapaces migrateurs et il a procédé pour l’ONF (Office national des forêts) à des inventaires naturalistes et caractérisation d’habitats. Chargé d’étude durant deux ans au parc naturel régional des boucles de la Seine, il a œuvré à la restauration des alignements d’arbres têtards sur 17000 hectares.

Un potager pédagogique plongé dans l’ombre d’une haie trop fournie.

Avec Benoît, animateur Nature et technicien des espaces verts du CPIE, Jaime explore le domaine pour déterminer le lieu le plus approprié pour cette journée d’initiation au plessage. Jeanette Breton, botaniste, animatrice & formatrice Environnement et Développement durable, vient les rejoindre et leur propose que l’activité se déroule dans un lieu qui nécessite un éclaircissement. Une haie d’arbustes entoure un petit potager pédagogique dont chaque parterre est consacré à une famille végétale. Plantés depuis quelques années, les arbres ont pris beaucoup d’ampleur et ils plongent la clairière dans l’ombre durant une grande partie de la journée à la belle saison. Manquant d’ensoleillement, les légumes n’arrivent pas à pousser !

« L’homme est la mesure de toute chose », Héraclite

A la suite de Jeanette, tout le groupe se rend sur place et Jaime examine d’un œil critique les essences d’arbres avec les deux animateurs. Rapidement, la décision est prise de supprimer d’emblée tous ceux qui appartiennent à une espèce invasive. Dans la haie, c’est surtout le troène du Japon (Ligustrum ovalifolium) qui est visé. Le chêne rouge d’Amérique, introduit en Europe à partir de 1724, est semé par des animaux et il se répand insidieusement dans les campagnes: il doit également être extirpé de la haie. A proximité du potager, nous admirons les pompons jaunes d’un mimosa en fleurs dont la fragrance se répand à des mètres à la ronde. De la famille des Mimosaceae, il s’agit de l’Acacia dealbata, originaire de Tasmanie, au sud de l’Australie, qui fut introduit en Angleterre en 1818 et sur la côte d’Azur à partir du XIXe siècle. La douceur du climat et l’absence de grands gels a convenu à cette espèce qui est devenue invasive dans tout le sud de la France. Enfin, le laurier sauce, une espèce méditerranéenne, se trouve un peu trop bien au Pays basque où il est aussi considéré comme invasif, sans véritablement figurer sur les listes nationales de mise à l’index.

Retrouver les gestes anciens: on scie un peu d’un côté, un peu de l’autre, on appuie dessus et hop ! le piquet se casse.

Si l’on se contente de scier à ras de terre un laurier sauce ou un troène du Japon, celui-ci n’aura de cesse de repartir de la base, ou même des racines. Pour éviter un nouvel envahissement, Jaime préconise d’écorcer le tronc sur son pourtour sous la forme d’un anneau (annelage), cette action étant plus efficace si l’arbre est conservé en entier. En effet, elle induit la suppression de l’aubier où circule la sève élaborée. Comme le dit une participante, nous « râpons des zestes de troène » (ou de laurier). N’étant plus alimentées par les parties aériennes, les racines finiront par dépérir. – Pour les besoins du plessage pédagogique, plusieurs arbres seront toutefois sciés à ras de terre et deux ou trois, conservés comme piquets, seront écorcés au-dessus du pied. – Parmi les rescapés de cette sélection drastique se trouvent le cornouiller sanguin, un jeune châtaignier, du chêne pédonculé, un pommier sauvage brouté par un chevreuil (Malus sylvestris: ce n’est pas l’ancêtre du pommier domestique, Malus domestica, qui vient principalement d’une espèce d’Asie centrale, Malus sieversii). Le noisetier est bien sûr aussi conservé. Comme il pousse en cépées (plusieurs brins partent de la souche), il suffira pour chaque pied de sélectionner le brin (tronc) le mieux placé, les autres étant supprimés. Quant au saule doré (Salix alba var. « vitellina »), également présent dans la haie, il s’agit d’un arbre dont les jeunes rameaux, très souples, étaient anciennement utilisés pour attacher la vigne, lier des fagots ou des boudins, et ils étaient très employés en vannerie.

Deux positions possibles pour tailler en pointe le piquet à la serpe.

La confection de plessis (le plessage) doit se faire impérativement hors de la période de nidification des oiseaux, car les merles, par exemple, démarrent très tôt la construction des nids. Mais la saison froide est aussi une période d’hivernage où certains animaux se réfugient dans les abris. Ce peut être des tas de bois, des buissons touffus, des ronciers ou des pierres. Il est préférable de veiller à ne pas détruire ni supprimer ces lieux à cette période. Quant au mois d’août, une période qui pourrait ne pas gêner les végétaux et les oiseaux, ce sont les insectes et les araignées qui seraient alors dérangés par la destruction de leur lieu de vie et de nourrissage. Ainsi, Jaime indique que la période de plessage la moins impactante pour la faune et la flore serait à partir de la mi-octobre et jusqu’à la fin février au maximum, en prenant garde aux lieux d’hivernage.

Toute la journée, nous entendons les grues qui « devisent » en pâturant dans les barthes de l’Adour à proximité du CPIE. Un vol passe le matin au-dessus du centre.

Quels outils utiliser ? La tronçonneuse (pour une cépée très fournie de noisetier ou de saule), la barre à mine (pour creuser les trous où seront enfoncés les piquets), la masse (pour faire pénétrer les piquets plus profondément dans le sol), la serpe (pour tailler les arbres et les piquets), la scie japonaise (pour couper les piquets, ôter les chicots), des lunettes de sécurité (grillagées), des gants et des chaussures de sécurité, des sécateurs, des housses pour conserver les outils en bon état et les porter suspendus à la ceinture à portée de main. Jaime a été blessé plusieurs fois et il a dû se faire recoudre le blanc de l’œil fendu par le jet d’une écharde. Il est donc très sensibilisé au risque et veille consciencieusement à nous prévenir et contrôler nos gestes maladroits de néophytes.

Tailler un piquet en pointe nécessite une grande force, une bonne précision dans l’angle d’attaque et une lame bien affutée.

Jaime nous explique que, suivant leur emplacement, une partie des troncs servira de piquets, tandis que les autres troncs seront plessés en les faufilant entre eux. Lorsque l’espace est trop important entre deux arbres à plesser, on plante un piquet après avoir creusé un trou à l’aide d’une barre à mine, car la pointe du piquet risquerait de s’émousser dans un sol dur ou sur les pierres qu’il contient. Ensuite, on continue à alterner le plessage, dans un sens puis dans l’autre, de façon à maintenir chaque piquet bien vertical par une pression équilibrée dans les deux sens. La progression est lente, car il faut à chaque fois décider si on supprime un arbre mal placé, si on choisit d’utiliser un arbre vivant comme piquet et quel brin (tronc) sera conservé dans une cépée pour être plessé. A la fin, il ne restera plus grand chose de la haie initiale !

L’entrée du potager a été déplacée vers la gauche et des piquets plantés dans l’espace vacant.

Il faut plesser en maintenant les arbres sur une pente minimale de 30 degrés au-dessus de l’horizontale, extrémité toujours vers le haut. On prendra garde à ne pas trop serrer les troncs de façon à ce que les arbres du bas de la clôture ne dépérissent pas. Les espaces trop importants pourront être comblés à la fin avec du bois mort, issu par exemple d’une cépée de noisetier dont on n’aura gardé que deux brins (troncs), l’un plessé vers l’avant et l’autre vers l’arrière. Jaime nous dit qu’il a vu d’anciennes haies plessées dont les troncs devenus énormes, plus d’un mètre de diamètre, avaient formé avec le temps de véritables murs végétaux !

L’arbre a été fendu car il manquait de souplesse. Le chicot reste en place tant que l’arbre n’est pas penché à sa place définitive, puis il est scié net à ras de terre.

Par ailleurs, il nous rappelle que ces clôtures vivantes ont été conçues à l’origine, bien avant l’invention du fil de fer barbelé, pour éviter que le bétail ne s’échappe du pré. Les interstices devaient être calculés en fonction de la taille d’une brebis ou d’une vache. Ces arbres étaient aussi une source de diversification alimentaire: comme nous, le bétail aime varier les plaisirs de la table et apprécie d’avoir des feuilles et des rameaux à brouter, en alternance avec l’herbe. Les essences étaient bien sûr locales, le plessis était soigneusement confectionné pour éviter sa détérioration lors d’un arrachage un peu brusque de branchages ou par une corne malencontreusement coincée, que l’animal dégage d’un coup de tête. C’était aussi un abri, une zone d’ombre où se reposer, où croissait une herbe différente, un lieu plus humide… Jaime travaille justement avec les éleveurs pour les aider à restaurer ce paysage de bocage et extirper progressivement les barbelés des espaces agricoles.

Opération délicate: tirer sur l’arbre sans le casser. Sciage du chicot.

Il nous montre comment courber les arbres sans interrompre le passage de la sève dans les vaisseaux. On les passe alternativement devant et derrière les piquets espacés d’environ 50 centimètres, soit une coudée : il place le coude contre un arbre et il rabat son bras devant lui en fermant le poing: sa main doit contenir le piquet ou l’arbre qui en fait office. Les arbres ne sont pas toujours assez souples pour se pencher à 30 degrés au-dessus de l’horizontale, surtout si leur tronc dépasse un certain diamètre. Il faut alors entailler à la serpe la base, quasiment jusqu’au cœur du tronc, en frappant bien perpendiculairement à la direction du plessage. Le résultat est impressionnant ! Personnes sensibles s’abstenir ! Jaime explique que l’énorme blessure sera peu à peu recouverte au fur et à mesure de l’accroissement du diamètre de l’arbre pour enfin totalement disparaître sous le bourrelet de recouvrement.

Veiller à maintenir un angle de 30 degrés.

C’est assez physique, ce sont donc les hommes qui s’attellent en premier à l’apprentissage du plessage, les femmes se cantonnant à la taille en pointe des piquets. A la fin, les deux plus jeunes participantes s’y essaieront également. Jaime corrige les gestes qui risquent d’entraîner la cassure de l’arbre. Il ne faut pas le faire pencher en courbant la pointe, mais au contraire caler le pied contre l’entaille à la base du tronc et appuyer fortement dessus pendant que les participants tirent sur l’arbre comme pour l’allonger tout en le faisant passer de part et d’autre des piquets sur toute sa longueur. Quand il a atteint la bonne position, il faut scier le chicot pour assurer un meilleur recouvrement de l’entaille par le bourrelet. La coupure doit être la plus nette et lisse possible.

Après la démonstration, c’est au tour des stagiaires de travailler.

Le groupe est scindé en deux pour que tout le monde puisse s’entraîner d’ici la fin de la journée. La première équipe poursuit le travail entamé par Jaime tandis que la seconde entreprend de plesser la haie située à la gauche de l’entrée du potager pédagogique. Pour faire tourner les arbres à l’angle du jardin, il faut leur faire une seconde entaille un peu plus haut sur le tronc, au niveau du virage. Une fois toutes ces opérations achevées, la clôture n’est pas encore terminée. Jaime égalise la hauteur des piquets (il signale qu’on pourrait aussi créer une forme de vague par exemple). Les piquets principalement vivants ne sont absolument pas taillés en biseau pour limiter le pourrissement, ce qui est une idée reçue. Une telle coupe a au contraire pour effet d’agrandir la surface de la plaie et donc d’allonger le temps de recouvrement. Le biseau est exécuté à une fin esthétique, mais surtout pour faciliter le tressage final.

Le nombre d’arbres de la haie s’est considérablement réduit et le plessage permet un meilleur éclairement du potager.

La finition est spectaculaire. Jaime choisit deux longs brins de noisetier de section identique. Un participant les tient fermement à une extrémité et Jaime se saisit des deux autres extrémités auxquelles il imprime une torsion. Un tour, deux tours, trois tours, au maximum de sa force et de la résistance des troncs, et une boucle est enfilée sur un piquet. Il reprend de plus belle ses rotations, de piquet en piquet, confectionnant une sorte de tresse à deux brins qu’il enfonce sur le plessis à coups de gourdin. Deux autres longs piquets de section équivalente subissent le même traitement dans la continuité de la première tresse. Enfin, il reste à sécuriser les bordures. Les extrémités des arbres plessés sont repliées et coincées dans la clôture. Ce qui est trop raide est coupé à ras pour que éviter toute éraflure en passant à proximité. Nous restons un bon moment à admirer le travail.

Deuxième entaille pour le virage à l’angle de la clôture.
Recoupe des piquets à la même hauteur et en biseau
Confection de la tresse de finition du plessis
Coinçage de la tresse sur un premier piquet
Poursuite de la torsion tout du long des deux brins
Tassement de la tresse à l’aide d’un gourdin
Courbure des extrémités des brins au niveau de l’entrée du potager
Continuité du tressage avec deux nouveaux brins
Une épreuve de force
Belle finition
Le tressage s’amorce sur l’autre moitié de la clôture.
Sécurisation de l’entrée
Pour conclure la journée, un magnifique vol de cigognes en migration tournoie un moment au-dessus de nos têtes.
Le doyen du CPIE: un chêne vénérable aux rameaux couverts de gales sphériques.

 

 

Plessage au CPIE Seignanx
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2 commentaires sur “Plessage au CPIE Seignanx

  • 14 février 2022 à 10 h 01 min
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    Merci beaucoup pour ce reportage!! 😉 C’est super d’avoir photos et mots pour garder en mémoire cette superbe journée!! Merci d’avoir participer et d’avoir fait ce magnifique compte-rendu!
    à très bientôt!!

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  • 21 février 2022 à 14 h 01 min
    Permalink

    Bravo pour ce plessage dans la nature !
    L’auteure est toujours à la hauteur pour le compte rendu !
    Camille

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