Le froid s’installe sur les toits de Lilitegia. Le jardin sous le ciel semble s’assoupir. Pourtant, chaque semaine, il reste des tâches à y accomplir. Les récoltes ne sont pas encore achevées, les courges énormes ont mûri lentement, surtout la courge longue de Nice, tardive, dont les tiges s’échappaient du bac pour se répandre sur le gravier alentour. La diversité des graines et des plants incite à faire preuve d’audace gustative et culinaire pour découvrir de nouvelles recettes et des saveurs inconnues. On s’échange des recettes, aussi bien pour le topinambour que pour la blette par exemple, peu prisée alors qu’elle est si esthétique et si douce au palais.
La fin des récoltes de tomates entraîne une certaine désaffection regrettable, car c’est toujours un plaisir de jardiner sur ce vaste espace nourricier où s’estompe le vacarme de la circulation automobile, où le regard se perd à l’horizon vers les montagnes lors d’une halte pour se reposer. Sonia et moi repérons le manège d’un couple de rapaces, des milans royaux, qui rôdent au-dessus des arbres et viennent vers Lilitegia, semant la panique parmi les pigeons qui s’éparpillent en tous sens au lieu de demeurer sagement terrés sous les corniches des immeubles.
Il reste encore beaucoup de tâches à accomplir jusqu’au printemps prochain et le retour des beaux jours. Les derniers plants annuels se dessèchent et nous coupons leurs tiges en tronçons que nous laissons sur le sol afin de le protéger des intempéries. Certains plants montent en fleurs. L’intérêt est double: observer tout leur cycle de vie, car bien des résidents ignorent l’aspect des légumes en dehors de leur partie comestible que l’on trouve en magasin, et récolter les graines que l’on conserve au local pour les semer à la bonne saison. Pour cela, il est essentiel de n’acheter que des graines ou des plants qui soient reproductibles, et éviter les hybrides F1 ou les plantes OGM.
Une des tâches hivernales, après la taille, la coupe et le retrait de toutes les plantes qui ont achevé leur cycle, c’est l’observation du jardin. Menthes et fraisiers forment un merveilleux couvre-sol, car ils se propagent naturellement, la menthe par marcottage, grâce à ses tiges basses qui s’enracinent au contact du sol, et le fraisier par l’émission de stolons, tiges particulières le long desquelles se forment de nouveaux pieds qui s’enracinent également au contact du sol.
Il ne faut pas s’imaginer que plus rien ne pousse en hiver. Il y a même encore quelques fleurs, notamment les choux, la roquette, les radis ! Il faudra penser à semer ou planter davantage de variétés qui prospèrent à cette saison, de façon à encourager les jardiniers résidents à venir récolter les salades, les épinards ou les blettes. En outre, les tomates ont tellement prospéré au cours de cette première année de jardinage que les moins jolies ont été laissées sur le sol, celles qui étaient abîmées par des chenilles, des limaces ou des champignons ou bien qui avaient pourri avant qu’on ait pensé à les récolter. Ainsi, des myriades de graines ont germé sur place. Les jeunes plants minuscules et fragiles risquent de se perdre si on les y laisse, car notre climat n’est pas celui de leur pays d’origine, le Mexique des Aztèques.
Des procédures se mettent progressivement en place pour le suivi des tâches à accomplir au jardin. Un panneau a été fixé sur un mur du local où l’on indique le travail accompli et ce qu’il reste à faire, de même que les indications sur ce qu’il ne faut pas faire. Il s’agit principalement de cette envie irrépressible de désherber dès qu’apparaissent des plantes sauvages. En hiver, du moment que les légumes n’emplissent pas le jardin, celles-ci sont d’une grande utilité pour la protection du sol et de ses habitants minuscules. En outre, il n’y a même pas besoin de les entretenir, elles surgissent spontanément ! Parallèlement, les informations et les échanges passent par le réseau WhatsApp des jardiniers qui permet d’être très réactif et à Libre Cueillette de répondre au moindre questionnement en semaine, sans attendre le mercredi suivant, jour de l’animation hebdomadaire.
Depuis un an, la division du jardin en parcelles rectangulaires nous dérange, Sonia et moi. Nous pensons qu’elle induit pernicieusement l’idée qu’il pourrait être exploité de façon non collective, avec l’attribution d’un lopin à chaque jardinier en herbe. Ce n’est bien sûr pas le but ! L’objectif est plutôt – dans l’idéal – d’amener les résidents à collaborer harmonieusement aux tâches de jardinage qu’ils effectueront ensemble. C’est la raison pour laquelle nous avons demandé à ce que ces planches de séparation et de passage soient retirées et découpées en « pas japonais ». En vue du rendez-vous pris avec le menuisier de l’Office 64, nous les dégageons de la terre à l’aide de fourches afin de lui faciliter le travail. Heureusement que cela se fait pendant la pause hivernale, avec un jardin relativement dénudé. Grâce à l’abondante plantation de légumes qui se sont développés depuis la création du jardin il y a un an, le sol est désormais bien meuble. Ainsi, il n’est pas si difficile d’extirper les lourdes planches de leur gangue de terre. Mais ceux qui les ont mises en place ont cru bon de les fixer entre elles par de longues vis qui ont fini par rouiller. Il va falloir les retirer.
Le menuisier de l’Office 64 est venu le 13 février. Il a fallu d’abord extraire chacune des planches et soigneusement les brosser, de façon à ne pas endommager la scie qui les découperait en tronçons. Une vis a dès le début rendu le travail plus pénible en provoquant la casse de la dévisseuse électrique. Certaines ont pu être sorties à la main, d’autres, trop rouillées ou mal placées ont été enfoncées dans le bois à coups de marteau. Le lendemain, un collègue est venu l’aider à la découpe. Le mercredi, nous avons trouvé l’espace libéré de son quadrillage et nous avons immédiatement entrepris de reboucher les fentes et décompacter les passages en vue de la création d’un nouvel aménagement du jardin.
Sonia et moi avions envie de courbes, de cercles, d’un cheminement tortueux, d’un petit labyrinthe où la sente se perdrait dans le foisonnement de la végétation… Avec les résidents, nous avons commencé à placer les pas japonais, imaginant un nouveau tracé le plus esthétique possible. Le travail s’est fait en deux temps: après le comblement des creux et le décompactage du sol, nous avons positionné les plaques de bois avec les jardiniers-résidents, puis, la semaine suivante, une fois vérifiée la bonne logique du nouveau cheminement, nous avons creusé sous les plaques pour les enfoncer légèrement dans le sol et les stabiliser.
L’hiver s’est achevé par un déplacement de membres du groupe à la jardinerie bio d’Ascain pour enrichir le jardin de nouveaux plants pérennes. C’était bien difficile de choisir, il faudra y retourner pour compléter l’assortiment…