L’un des objectifs de la nouvelle conception du jardin est de contrer les « prélèvements » intempestifs de deux manières: en créant un foisonnement végétal très dense et très diversifié et en disposant les pas japonais en un cheminement tortueux seulement accessible en deux endroits pour chaque grand bac de culture. Déjà, un artichaut encore très petit a été cueilli par quelqu’un extérieur au groupe. Pour mémoire, Sonia rappelle aux résidents-jardiniers une règle simple: lorsqu’une récolte ne présente pas d’urgence, elle se fait lors d’une séance de jardinage en commun. Par contre, des fruits abondants comme les fraises, qui risquent de s’abîmer ou d’être grignotés par les limaces si l’on tarde trop, peuvent être récoltés au fur et à mesure de leur mûrissement.
Dès la mi-mai, l’aspect du jardin est très prometteur, les plantes poussent à une vitesse fabuleuse et chaque mercredi offre une nouvelle occasion de s’émerveiller. Du coup, la fréquentation du jardin augmente, des « anciens » reviennent et de nouvelles recrues apparaissent. Une jeune femme s’adresse à Sonia et moi, découragée: « Je ne vais pas poursuivre, je n’y connais rien, je ne sais pas quoi faire. » C’est bien qu’elle le dise au lieu de disparaître sans explication, car ainsi, nous pouvons l’aider à s’intégrer en lui attribuant des tâches simples. Encouragée et rassurée, elle trouve peu à peu sa place et revient régulièrement au jardin.
Après une visite à la pépinière Indartia d’Ascain le 15 mars, de nouvelles espèces végétales ont été introduites au jardin: menthe poivrée, valériane, estragon de Russie, fenouil bronze, thym citronné, mélisse, romarin prostré, camomille romaine, tanaisie, cassissier, rhubarbe, verveine, mûrier sans épine. Leur implantation méritait réflexion: elles ont été réparties sur les espaces laissés vacants après la disparition des plantes annuelles qui avaient achevé leur cycle. La principale difficulté, c’était de prévoir leur vitesse de croissance et le volume qu’elles occuperaient à terme de façon à ne pas trop serrer les jeunes plants. Un écueil supplémentaire est apparu avec le nombre grandissant de plantes sauvages et cultivées qui rendait difficile la « lisibilité » du jardin. Une signalétique est vraiment devenue indispensable. Hélène a fait l’acquisition de pinces à linge et de brochettes en bois, ainsi que d’un feutre à encre indélébile et le marquage des plantes a débuté.
Le jardin est un lieu nourricier, certes, mais aussi où l’on expérimente, où l’on teste de nouvelles méthodes (conserver les gourmands des plants de tomates, ne pas désherber systématiquement, pailler pour limiter l’arrosage, laisser agir les auxiliaires plutôt que traiter avec des produits chimiques…) et où l’on introduit des plantes originaires d’autres régions du monde et d’autres zones climatiques. Par exemple, la mauve annuelle blanche (Lavatera trimestris Mont blanc), très florifère, provient du pourtour méditerranéen, le pourpier de Cooper qui pousse à côté est originaire d’une région d’Afrique du Sud où règne également un climat de type méditerranéen, avec une faible pluviométrie estivale. Quant à la patate douce plantée à proximité, cousine de l’Ipomée bleue, c’était initialement une plante d’Amérique tropicale, au climat chaud et humide, alors que le cèleri provient des zones humides du pourtour méditerranéen.
Les topinambours (d’Amérique du Nord) récoltés l’automne dernier n’ont pas tous été consommés. Une partie a été conservée au local de façon à être ressemée ultérieurement. L’expérience a montré que le vent desséchant souffle plus fort sur la terrasse supérieure. Sonia a donc eu l’idée d’utiliser le topinambour comme haie coupe-vent. Semé très serré en bordure, il obligera en outre les visiteurs du jardin à n’accéder au grand bac que par les entrées prévues pour cheminer seulement sur les pas japonais, de façon à ne pas piétiner intempestivement les zones de culture.
Un jardin pour le plaisir des sens ! Les fleurs font assaut de leurs charmes pour attirer les pollinisateurs, tandis qu’une main passée en douceur sur les aromatiques laisse s’envoler des effluves odorants avant de plonger dans un massif de fraisiers pour en cueillir les fruits délicieux. Chemin faisant, on découvre de petites bêtes tapies dans le foisonnement végétal. Il n’y a pas que des insectes butineurs de nectar et récolteurs de pollen. Jalousement gardés par un bataillon de fourmis, les pucerons aspirent la sève sucrée, attirant la convoitise des coccinelles et de leurs larves affamées. Mais à leur tour, ces insectes prédateurs risquent de devenir la proie d’araignées en embuscade ! Ouh la la, ce calme apparent est trompeur, ces toits hébergent une jungle miniature !
La question régulièrement posée par les néophytes porte sur l’arrosage. Il y a deux règles. Les graines et jeunes plants récemment introduits doivent demeurer dans un sol légèrement humide. D’autre part, lorsqu’on parcourt le jardin, il faut observer les plantes: celles qui ont soif le montrent par un feuillage en berne, ou bien des feuilles qui se referment ou se recroquevillent, ou encore des tiges qui se courbent vers le bas. S’il a fait très chaud, il est préférable d’arroser tard le soir, ou tôt le matin, et de préférence au pied de la plante dans la mesure du possible. L’eau circule dans la plante à partir de ses racines et un arrosage sur les parties aériennes risquerait d’attirer des champignons ou autres microorganismes (oïdium, mildiou…). La perte l’an passé des plants de petits pois, alors qu’ils étaient magnifiques et couverts de gousses, demeure encore dans les mémoires. Rien de tel que l’expérience pour progresser.
Un des grands bacs de la terrasse supérieure devient le « jardin des enfants ». Petit à petit, il s’enrichit de nouvelles plantations auxquelles ils contribuent activement.
Les activités de jardinage alternent entre les deux terrasses ou se font en parallèle, selon le nombre de résidents présents aux animations Libre Cueillette. Grâce aux graines qui ont germé naturellement l’an passé, des plants de tomates ont été dispersés un peu partout. De façon à limiter les apports d’eau, des oyas ont été enterrés à côté. Ces pots de terre emplis d’eau sont poreux et les racines pousseront vers ces récipients qui humectent la terre alentour. Près du maïs poussent des haricots, pour tester la méthode des Indiens d’Amérique, la milpa (les trois sœurs, association des cultures de maïs, de haricot et de courge qui s’aident mutuellement dans leur croissance).
Au fil des jours, les deux terrasses s’enrichissent et la végétation devient si dense par endroits qu’il faut dégager certains plants cultivés pour éviter leur étouffement. De même, le nouveau cheminement très visible au début de sa mise en place commence à disparaître par endroit: deux solutions se présentent, tailler les plantes trop volumineuses ou trop colonisatrices (comme la menthe aquatique qui étouffe la sauge) ou déplacer les pas japonais pour tenir compte de cette nouvelle emprise au sol.