Les 7 cycles de l’eau

Hervé Coves à l’Atelier des Alvéoles (Cobonne, Drôme)

En mai 2022, Hervé Coves, ingénieur agronome,  a effectué une conférence dans le cadre d’un Cours de Conception en Permaculture dispensé par les Alvéoles, à Cobonne, dans la vallée de la Drôme. Cette entreprise dédiée à l’accompagnement vers la transition écologique a trois pôles d’activité, la formation, le conseil et une pépinière (site internet : https://alveoles.fr/). Par le biais de sa chaîne youtube (https://www.youtube.com/@alveoles), elle propose des formations en Permaculure (en présentiel et en distanciel). Ainsi, la conférence d’Hervé Coves Les 7 cycles de l’eau est diffusée sur Youtube (https://www.youtube.com/watch?v=ZhtQ89NzOjs). Il signale que ses sources sont issues d’un gros travail de synthèse scientifique réalisé par Jean-Luc Galabert et accessible en ligne, Comprendre les cycles hydrologiques et cultiver l’eau (https://interculturelles.org/wp-content/uploads/2022/07/Comprendre-les-cycles-hydrologiques-et-cultiver-l-eau-WEB.pdf). Voici la transcription de la conférence, avec de très légères modifications apportées dans le premier chapitre sur le cosmos, après consultation de divers articles du CNRS (Centre national de la recherche scientifique).

M51 ou galaxie du Tourbillon dans la constellation des Chiens de chasse (Alex, SAPCB Société d’astronomie populaire de la côte basque)

1er cycle de l’eau: cosmos

J’ai quelque chose d’important à vous dire. La Vie est belle !… Donc, cette histoire a commencé il y a très très très longtemps. – Klong ! (son d’un bol tibétain) – ça, c’était le Big Bang, des vibrations, on ne sait pas d’où ça vient, et soudain il se forme des quarks. Ces quarks fusionnent : 1 + 1 = 3. Un nouveau truc apparaît: c’est le principe de l’émergence. Ce nouveau truc, ce sont des électrons, dotés de charges électriques. – Vous avez tous pris des châtaignes dans votre vie ? – Et puis apparaissent des protons, comme on en voit dans la guerre des étoiles ! Des trucs qui explosent ! Puis l’univers se refroidit un petit peu. Les protons et les électrons s’unissent pour former les atomes d’hydrogène. Ces atomes d’hydrogène fusionnent parfois avec des neutrons, apparus dans le même temps que les protons, pour donner des atomes d’hélium. Et puis, par des mécanismes qui nous échappent complètement, tous ces atomes qui se trouvent dans l’univers forment de grands vortex et se retrouvent assemblés dans des galaxies, et quelquefois, dans des étoiles. Nouvel état de la matière. Dans le cœur des étoiles, ces atomes fusionnent en dégageant de l’énergie. C’est ce qui fait briller notre Soleil. Il s’y produit un peu plus d’hélium, mais aussi de l’oxygène, du carbone et d’autres éléments qui s’accumulent, s’accumulent, s’accumulent à un point tel que l’étoile explose en dégageant une énergie formidable. Elle permet la formation de nouveaux éléments et tout se disperse dans l’espace. Les plus grosses étoiles se désintègrent en supernova. Cela fait moins de bruit qu’un Big Bang. Cela dégage quand même une énergie extraordinaire qui va engendrer toutes sortes de nouveaux matériaux encore plus massifs, de l’or, de l’argent, du radium… Tous ces éléments sont réunis dans le tableau de Mendeleïev, je ne vais pas tous vous les citer. Parmi ceux-ci, il y a donc de l’oxygène, de l’hydrogène – ce truc qui explose, comme dans les bombes H à hydrogène -, de l’hélium – ce gaz qu’on met dans des ballons -. L’hydrogène se combine, s’oxyde avec de l’oxygène pour donner un composé étonnamment stable qui s’appelle de l’eau. – Mais la même chose se fait avec le fer et donne un composé étonnamment stable qui s’appelle la rouille. La rouille est bien plus stable que le fer, il faudrait arriver à construire des structures en rouille, elles seraient immuables ! –

Comète Neowise, 2020 (Boris, SAPCB Société d’astronomie populaire de la côte basque)

L’eau, il y en a un peu partout dans l’univers. Et de temps en temps, elle s’unit à des poussières qui s’agrègent pour former des astéroïdes, des comètes, des planètes de plus en plus grosses, comme Mars, Jupiter, Neptune, Saturne, Vénus, la Terre ! Et cette Terre est bombardée régulièrement de débris de comètes, d’étoiles filantes. La majorité de ces étoiles filantes est composée d’un matériau très particulier qu’on appelle de la chondrite, de nature très primitive, dont la composition chimique est proche de celle de la Terre. Une fraction de ces chondrites est constituée de chondrite carbonée qui contient les éléments dont sont composés les organismes vivants, y compris parfois des acides aminés et même du phosphore. Lorsque les chondrites arrivent sur Terre, elles suintent. Et ça, ça fait des océans, des rivières, toute cette eau qui s’accumule à la surface de la Terre. Voyez, si la Terre était grosse comme moi, la quantité d’eau qu’il y a sur Terre serait grosse comme ce bol tibétain et la quantité d’eau potable serait grosse comme cette petite boule à l’extrémité de la baguette. Et cette eau se met à circuler, se met à bouger, se met à voyager…

Soleil du 28 mai 2016 (Alex, SAPCB Société d’astronomie populaire de la côte basque)

Ce qui est étonnant, c’est que ce même phénomène a probablement eu lieu sur Mars et en plein d’autres endroits. Pourquoi est-ce que sur Terre l’eau reste, alors que sur les autres planètes telluriques ce n’est pas pareil ? On a vu sur Mars, avec nos sondes spatiales, des traînées d’eau, des traces de circulation d’eau, qui laissent penser qu’il y a eu une époque où les conditions étaient différentes. Aujourd’hui, il n’y a plus d’eau ou plus beaucoup. S’il en reste, elle est glacée et se cache dans les entrailles de la planète. Une théorie sur le sujet, c’est que cette eau s’évapore dans l’atmosphère. Et imaginez-vous que sur toutes les planètes cette eau s’évapore, y compris sur Terre. Sur Mars, cette vapeur d’eau a sans doute été décomposée sous l’action du rayonnement ultraviolet du Soleil et les atomes d’hydrogène, très légers, ont échappé à l’attraction de la planète. Par contre la Terre, plus massive, retient mieux son atmosphère grâce à son attraction gravitationnelle plus importante. Quant à sa teneur en eau, la première hypothèse qui a été développée dans le courant des années 1960, c’était l’arrivée d’une météorite. On connaît celle qui a causé l’extinction des dinosaures, mais il s’agirait d’une autre météorite, qui serait arrivée bien avant, chargée d’une quantité invraisemblable d’eau et depuis, l’eau s’évapore, s’évapore, s’évapore. C’est peut-être vrai, mais la quantité d’eau sur Terre reste étonnamment stable.

Lune : Promontoire Fresnel, situé à l’extrémité Nord des Apennins, Brèche entre Montes Apenninus et Montes Caucasus (Alex, SAPCB Société d’astronomie populaire de la côte basque)

Les astrophysiciens se sont rendu compte qu’à l’endroit précis où orbite la Terre, elle croise des grosses concentrations de fragments minuscules de comètes. En chutant à travers l’atmosphère, ils s’échauffent et sont parfois visibles sous la forme d’étoiles filantes. Certains sont détruits, mais beaucoup parviennent au sol, ce sont les micrométéorites. Constituées majoritairement de chondrites, elles vont contenir suffisamment d’eau pour équilibrer ce qui disparaît dans l’espace. Et donc si depuis 4,5 milliards d’années, il y a toujours de l’eau sur Terre, c’est parce qu’il y a des micrométéorites, de temps en temps des plus grosses, comme celle des dinosaures, en quantité suffisante pour maintenir stable la quantité d’eau sur Terre. Cela, c’est complètement bluffant. Et sur Mars, qui est plus loin, il y en a une moins grande quantité, donc l’eau qui s’évapore n’est pas compensée par celle qui arrive. Pour la Lune qui est beaucoup plus petite, là, c’est l’attraction gravitationnelle de la planète qui n’est pas suffisante pour maintenir l’eau. Voilà le premier cycle de l’eau, un cycle cosmique qui permet une forme de stabilité sur Terre. On ne va peut-être pas manquer d’eau tout de suite. La Vie est belle !

Anglet, 23 novembre 2023

2ème cycle de l’eau: océans et nuages

Deuxième chapitre. C’est le plus ennuyeux parce que vous le connaissez tous. Comment l’eau bouge sur Terre ? C’est facile. Il y a l’eau dans la mer; il y a du soleil qui brille, qui chauffe, ça évapore l’eau. Le vent transporte les nuages et les font retomber sur terre sous forme de pluie qui ruisselle jusqu’à la mer. Et ça fait ce cycle qu’on nous apprend à l’école. C’est le cycle qu’on voit le plus communément parce qu’on voit tous des nuages, et chacun s’est reçu une averse sur le bec. On sait ce que c’est. Y a-t-il des voileux parmi vous ? Lorsqu’on vogue dans la zone intertropicale, l’air est tellement dense, il y a tellement d’humidité que le simple fait de bouger les bras fait sentir l’humidité sur sa peau et l’air qui circule : c’est très sensuel pour certains et c’est épuisant pour d’autres. Donc, est-ce que ça s’évapore vraiment sur les océans ? Vu que ça retombe, cela semble évident. Souvent les livres de géographie s’arrêtent là.

Txindoki, 30 août 2018

3ème cycle de l’eau: vents et forêts – transpiration et condensation

Il est un peu plus intéressant. Parce qu’en fait, lorsque l’eau tombe sur terre et que cette terre est peuplée d’arbres, une grande partie de cette eau va se retrouver évaporée: dans certains écosystèmes, c’est près de 80% de l’eau qui tombe sur une forêt qui est évaporée, dans une prairie, cela ne sera que 20%, mais quand il y a des arbres, cela crée énormément d’évaporation, une transpiration des arbres qui va recréer d’autres nuages. Et on a pu le mesurer en différents lieux de la planète. L’eau qui s’évapore des océans va tomber sur les 500 premiers kilomètres d’Amazonie, où elle va s’évaporer de nouveau, retomber 500 kilomètres plus loin, s’évaporer encore : 5 à 6 cycles différents. La même eau est évaporée 5 à 6 fois avant d’arriver dans la cordillère des Andes et puis là, finir de tomber. Comme c’est en altitude, il n’y a plus beaucoup de végétation, de l’herbe rase, et cela ne s’évapore plus. De l’autre côté de la cordillère des Andes, eh bien c’est sec ! Est-ce qu’on a ce phénomène chez nous ? On pourrait se poser la question. Chez nous, ce ne sont pas des vents qui vont d’est en ouest, mais ce sont des vents qui se déplacent d’ouest en est, et un chercheur russe a calculé le régime des précipitations. Il a pu démontrer que c’est exactement pareil chez nous, de la côte ouest de l’Europe jusqu’à l’est de la Russie, et qu’on a comme ça des tas de cycles qui sont d’autant plus importants qu’il y a beaucoup de forêt. Vous imaginez que dans notre système agricole où l’on a ôté l’arbre, il y a plein d’emplacements où ce cycle n’est plus complet, ni aussi important, et donc qu’il ne fonctionne pas de façon aussi élaborée.

Txindoki, 30 août 2018

Mais la chose la plus surprenante dans tout ça, c’est qu’on peut réfléchir à la question: d’où vient le vent qui transporte la pluie ? Est-ce que c’est juste des histoires de rotation de la planète ? Quelquefois ça va d’est en ouest et quelquefois d’ouest en est. Est-ce que ce sont des histoires de force de Coriolis ? La physique explique beaucoup de choses, mais ce que ce gars a expliqué, c’est en fait que, lorsque la pluie tombe, la vapeur d’eau se condense et l’air perd de la matière, donc l’air devient moins dense, l’air se vide de sa matière. Et ça, en météorologie ça s’appelle une dépression qui attire l’air d’à côté. Et partout où la vapeur d’eau se condense, ça crée des dépressions. Et quand on calcule toutes les condensations qu’il y a sur Terre, on peut calculer – c’est le travail de ce chercheur – le vent que ça génère. Ce gars arrive à démontrer que les grands vents de la planète sont générés par les forêts qui condensent l’humidité, et donc ôtent de la matière et créent des dépressions. Ces travaux, lorsqu’ils ont été présentés au GIEC, ça contredisait tellement les théories actuelles basées uniquement sur la thermodynamique que ses travaux n’ont pas été perçus comme essentiels. Pourtant, grâce à une autre chercheuse dont les résultats ont été publiés il y a trois ans, ces idées sont aujourd’hui validées, acceptées dans le corpus des données scientifiques. Il va falloir clairement réviser notre copie sur la génération de la pluie sur Terre. Aujourd’hui, rien n’est joué ! Notre capacité à planter des arbres génèrera la capacité à orienter l’air vers nous et donc à l’échelle de la planète à rétablir la pluie…

Champignon (Anglet, 15 décembre 2023)

4ème cycle de l’eau: pluie et champignons

Ce 3ème cycle est très intéressant, mais en fait ça fait des pluies qui vont tomber seulement à 500 kilomètres de chez nous. Il y a à l’intérieur de ce cycle-là un autre cycle beaucoup plus subtil. Ce cycle est lié aux champignons et aux limaces. Lorsqu’un champignon commence à sporuler, vous voyez tous ce que c’est qu’un champignon: c’est un pied avec un chapeau. Et en dessous, ça émet des spores. Les spores des champignons sont hydrophobes, elles ont horreur de l’eau, ce qui est étonnant pour des spores qui aiment pousser dans des lieux humides. Et pour ceux qui ont mis la main sur un champignon qui est en train de sporuler, vous savez, on cherche les énergies quelquefois, et donc au-dessus d’un champignon, on sent comme un petit courant d’air frais qui s’élève du champignon. En fait, le chapeau du champignon transpire, ça crée une cheminée d’évaporation qui s’élève en faisant un léger petit vortex. Ce petit vortex crée un courant d’air sur les bords du chapeau du champignon et aspire, par effet Venturi, les spores qui se retrouvent en suspension. Et les champignons émettent leurs spores juste avant l’orage. C’est une bonne façon de savoir si l’orage est proche, pour ceux qui sont un peu allergiques aux spores de champignons, on a l’odeur du sous-bois qui commence à s’exhaler de la litière avec l’orage qui arrive. Et donc les spores sont dans l’air, entre la canopée et le sol.

Vesse de loup: des spores fines comme des poussières jaillissent dès qu’on touche l’enveloppe du chapeau (Anglet, 15 décembre 2023)

Et là va arriver un phénomène extraordinaire qui s’appelle la pluie. Et lorsqu’une goutte d’eau tombe du ciel et s’approche de la minuscule spore de champignon, qu’est-ce qui va se passer ? Elle va exploser, ou pas ? En fait, il n’y a rien de plus aérodynamique qu’une goutte d’eau – c’est pour ça que tous nos avions ressemblent à des gouttes d’eau ! -. La goutte d’eau, elle tombe et crée un courant d’air autour d’elle qui va dévier la petite spore. La spore va se retrouver derrière la goutte d’eau, dans les turbulences que la goutte d’eau fait en tombant. Étonnamment aussi sous la forme d’un vortex qui monte. La petite spore va remonter la pluie jusque dans les nuages. Et, à son arrivée dans les nuages, pour une raison qui nous échappe encore un petit peu, où certains ont émis quelques hypothèses qui ne sont pas encore toutes vérifiées, la spore qui était hydrophobe devient hydrophile et va servir de noyau de condensation pour faire tomber de nouvelles gouttes d’eau. S’il y a du vent, la goutte d’eau va tomber un petit peu plus loin, mais pas beaucoup plus loin. Tout ce phénomène de montée, condensation et redescente ne va prendre que quelques dizaines de minutes. C’est à dire qu’avec un vent de 10 km/heure, ça va tomber à 2, 3 ou 4 kilomètres. Pas très loin. Et c’est cette technique révolutionnaire que les champignons ont inventée pour disséminer leurs spores.

Champignon saprophyte Favolaschia calocera (de Mayotte, Madagascar) ou F. claudopus (Madagascar, Nouvelle Zélande) sur une brindille tombée du chêne (Anglet, 18 décembre 2023)

Et donc, plus il y a de spores, plus il y a de champignons. Plus il y a de champignons, plus il pleut. Plus il pleut, plus il y a de champignons. Plus il y a de champignons, plus il pleut… Donc à l’époque où, s’il n’y avait que des spores et des champignons, – c’était peut-être comme ça au début de la vie sur terre, il pleuvait tout le temps ! -, il se produisait le déluge, de l’érosion, des catastrophes, des raz-de-marée ! Par chance, la nature s’est dotée d’un animal qui adore les champignons: la limace  ! Elle va manger des champignons, empêcher les spores de trop s’envoyer en l’air et donc arrêter la pluie. Imaginez… Quand la pluie s’arrête, l’arc-en-ciel arrive et toutes les limaces, contemplant ce spectacle, remercient leurs divinités qui les félicitent avec ce merveilleux arc-en-ciel pour leur dire qu’elles ont bien travaillé ! Et satisfaites, elles plongent dans la litière dans l’attente d’un prochain orage en louant la beauté du ciel. Dans l’agriculture, ça s’appelle une rétroaction. Il n’y a pas que les limaces qui font ça. Une fonction peut être remplie par plein de bestioles et parmi toutes ces bestioles, j’ai choisi la limace. Mais toutes les bestioles qui sont mycophages, qui aiment les champignons, contribuent à ça avec une efficacité qui va nous surprendre encore plus. Car, imaginez-vous que les limaces digèrent les spores de la plupart des champignons pathogènes, des pourritures qui n’ont aucune noblesse, mais elles ne digèrent pas les spores des champignons mycorhiziens, ceux qui s’associent aux arbres. Elles vont donc favoriser leur dissémination, et par conséquent la pousse des arbres. La vie est belle ! J’espère que vous regarderez les limaces un peu différemment. Mais voyez, si on venait à manquer d’eau, faudrait peut-être faire attention à ce qu’il n’y ait pas trop de limaces non plus, pour qu’elles ne mangent pas trop de champignons.

Arc-en-ciel (Anglet, 19 février 2020)

Mais là aussi la nature est redondante et les arbres émettent des composés que l’on appelle des composés organiques volatils qui ont la même action que les spores de champignons. Ils créent aussi des noyaux de condensation dans l’atmosphère qui permettent à la pluie de retomber, avec une efficacité peut-être encore plus grande que celle des spores de champignons, car c’est quasiment instantané. Ces composés sont gazeux et sont émis dès que la pression atmosphérique devient un petit peu lourde, à un tel point que l’on voit quelquefois l’eau tomber directement sur les bosquets qui les ont émis. Cela se fait en quelques minutes, une dizaine de minutes. Tous ces éléments sont des petits cycles inclus dans les grands cycles qui permettent de faire tomber l’eau à quelques centaines de mètres, quelques mètres parfois, quand il n’y a pas de vent, ou au pire quelques kilomètres de l’endroit d’où sont partis ces composés ou ces spores de champignons.

Rosée sur le millepertuis androsème (Anglet)

5ème cycle de l’eau: la rosée

C’est le grand oublié et pourtant celui que tout le monde éprouve lorsqu’on voit de la rosée: la condensation. On a tous fait cette expérience, surtout lorsque nos maisons ne sont pas bien isolées, en hiver, que la condensation de notre respiration se fixe sur les parties froides, par exemple sur les carreaux. Avez-vous aussi remarqué que cela ne se fixe que sur les parties les plus froides et pas ailleurs ? En rapprochant ces observations de la remarque du gars qui dit que la condensation fait des dépressions et attire l’air humide, eh bien c’est la même chose qui se passe dans la chambre. Comme l’air se vide de son humidité au contact de la vitre froide, cela fait une petite dépression qui fait que l’air juste à côté est attiré à son tour sur la vitre froide. Et toute l’eau se dépose sur la vitre froide et pas ailleurs, tant qu’il demeure de l’humidité dans l’air. Mais plus l’air est chaud, plus il peut contenir d’humidité, qu’on ne voit pas. Ce soir, on ne voit pas de nuage, ou très peu, pourtant il y a probablement beaucoup d’humidité dans l’air. Et comme la température est haute, elle ne se condense pas. Si la température venait à refroidir, on verrait les nuages se condenser. D’ailleurs, souvent, on a l’impression que les nuages avancent d’un côté, et qu’ils se dissolvent de l’autre. Une partie du nuage apparaît et l’autre disparaît. Il ne bouge pas complètement dans le vent. C’est tout simplement qu’il va rencontrer une masse d’air plus ou moins froide, plus ou moins chargée d’humidité, et que par moment le nuage apparaît, et à d’autres moments le nuage disparaît, il se solubilise dans l’atmosphère. Donc, chaque fois que dans un paysage il y a une partie plus froide qu’une autre, est-ce que l’air peut se condenser et comment ? Pour ça, pour ceux qui aiment bien la thermodynamique, on a des abaques qui sont très pratiques pour ça, pour permettre, en fonction du pourcentage d’humidité qui réside dans l’air, de connaître le point de rosée. Par exemple, à 20°C avec 50% d’humidité dans l’air, il suffit de trouver une surface à 12°C pour que l’air se condense. A 40°C, quand il fait très chaud, l’air va contenir beaucoup d’humidité, il suffit de rencontrer une surface à 28°C pour que ça se condense.

Rosée sur le géranium herbe à Robert (Anglet)

Et ça, le simple fait d’avoir un arbre, le soir, avec un côté au soleil, un côté à l’ombre, eh bien la partie de l’arbre qui est à l’ombre est souvent déjà à 28°C, alors que la partie au soleil est à 40°C. La partie qui est au soleil est à 40°C, elle va également transpirer. L’arbre transpire dans son feuillage par des orifices, les stomates, qui sont situés sous les feuilles. C’est de l’air froid, dense qui va avoir tendance à descendre. Et les feuilles du dessous vont pouvoir capter l’humidité si elles sont plus froides, et condenser cette humidité qui va retourner dans l’arbre, dans les vaisseaux de sève élaborée, et redescendre jusque dans les racines. Ce phénomène est étrange, parce qu’on n’en tient jamais compte en météorologie, parce que cette eau n’apparaît pas dans les pluviomètres. C’est de l’eau qui s’évapore directement des arbres et qui retourne à l’intérieur. Plein de scientifiques ont étudié ça, et on arrive à des résultats surprenants. En fait, il y a quasiment la même quantité d’eau qui est tombée, dans un écosystème où il tombe 200 mm d’eau en été, en réalité, il y a 400 mm d’eau qui circule dans les plantes. C’est comme si cette eau passait quasiment intégralement deux fois. Alors, elle ne passe pas intégralement deux fois. Le premier coup, il n’y a que 50% de cette eau qui est évaporée, le deuxième coup 50% de 50%, le troisième coup, quatrième coup, etc. et dans une même journée, la même eau peut s’évaporer plein de fois pour peu qu’on ait des dipôles de chaud et de froid. Il faut comprendre que lorsqu’on a un champ uniformément plat, tout va être un peu à la même température. Si j’ai de l’air froid à l’intérieur, ça va pas beaucoup bouger parce qu’il n’y a pas beaucoup d’air dedans. Par contre si j’ai un paysage avec une végétation très hétérogène, des creux, des bosses, ça va capter beaucoup beaucoup plus d’eau. Et d’autres chercheurs se sont amusées à dire, mais quelle est la forme idéale pour capter un maximum d’eau ? Ils ont étudié les patterns de condensation. C’est alors qu’on a parlé d’un autre pattern, le pattern de chou-fleur ou de brocolis. Pour ceux qui sont allés sous les tropiques, quand on regarde la forêt vierge d’en haut, on a l’impression d’être au-dessus d’un champ de brocolis, des creux et des bosses partout. Une hétérogénéité extraordinaire, il y a toujours des parties sombres et des parties au soleil, toujours des dipôles lumière/ombre qui permettent et optimisent cette condensation. Il y a plein d’échelles, des grands arbres, et sous les arbres plein de petits cônes. Chez nous, on a des choses plus plates, mais lorsqu’on laisse nos forêts évoluer spontanément et suffisamment longtemps, de l’ordre de 250 à 300 ans, on se rend compte que nos forêts prennent les mêmes structures en vieillissant.

Vue de la côte basque depuis la Rhune (juin 2022)

Alors peut-être qu’on peut accélérer le phénomène et planter des grands arbres, des petits arbres, des arbres de taille moyenne, de façon à ce qu’il y ait plein d’hétérogénéité, plein de creux, plein de bosses à plein d’échelles différentes pour optimiser. Et imaginez-vous qu’il y a différentes mesures qui ont été faites là-dedans, notamment une que j’ai réalisée moi-même. Donc j’ai toute légitimité pour dire ce que j’ai fait et ce que j’ai mesuré dans un endroit d’une très grande hétérogénéité pendant la deuxième canicule de 2019, celle du mois de septembre qui a été la plus chaude et la plus sèche. J’ai mesuré que ma forêt, mon jardin-forêt, plein de ronces, plein de plantes variées dans le sous-bois, a capté entre 2 et 4 millimètres d’eau tous les soirs, soit 30 millimètres pendant les dix jours de la canicule: c’est comme s’il y avait eu un énorme orage à cet endroit-là alors que partout ailleurs, et notamment tous les endroits où le sous-bois, froid, capable de condenser l’eau, avait été détruit, là, les arbres ont perdu leurs feuilles à cause de la sécheresse.

Le lierre capte l’eau et les champignons la répartissent alentour (Anglet)

Le cycle oublié de l’eau. Celui qu’on a sous nos yeux. Celui sur lequel on peut œuvrer, tout seul, aider la nature, chez nous, à capter cette eau. Je ne peux que vous encourager le soir ou le matin, au moment où la rosée apparaît, à aller juste de vos mains toucher les feuilles, toucher l’herbe, toucher les branches, reconnaître quelles sont celles qui sont humides, quelles sont celles qui restent sèches, essayer d’identifier quelles sont les plantes qui condensent le mieux l’humidité de l’air, car toutes ne le font pas avec la même efficacité. Oui, touchez, caressez, les feuilles des sous-bois et, pour les courageux, les feuilles des ronces pour simplement évaluer et éprouver toute l’humidité qui peut être captée. Mais vous allez me dire, tout cela c’est très bien, mais à qui va-t-elle profiter ? Au lierre, à la ronce, au fusain, au laurier tin, au laurier sauce… Non, moi je veux produire des prunes, des pêches, des tomates, des betteraves ! Il se trouve que c’est encore les champignons qui entrent en scène. Car lorsque un lierre capte l’humidité de la transpiration de son arbre, l’humidité pénètre spontanément dans la structure de sa feuille et va pénétrer dans les vaisseaux où circule la sève élaborée. Il transpire par les vaisseaux de sève brute qui remontent l’eau du sol, mais tout ce qui rentre, ça va dans les vaisseaux de sève élaborée. Et surtout à la tombée de la nuit, lorsque la plante arrête de faire de la photosynthèse, cela aura une répercussion dramatique pour la plante et surtout pour son champignon qui est en dessous, qui lui n’aime pas recevoir de l’eau trop diluée, pas assez minérale, pas assez chargée de nutriments, il va sortir toute cette eau dans le sol pour maintenir la qualité et la concentration de la sève élaborée. Cette eau va rester à proximité des racines, et donc elle va pouvoir être réabsorbée par la plante la journée suivante.

Imaginez qu’on ait un petit peu de bois qui se décompose, ces fameux champignons saprophytes qui permettent de mettre dans le sol des trames de circulation pour l’eau qui va ainsi se répartir alentour. Pour un lierre de dix mètres de haut, on a mesuré que cette eau était capable d’aller jusqu’à une fois et demie la hauteur de façon assez homogène, et deux fois et demie sa hauteur soit 25 mètres de façon un peu plus diffuse. Laissez pousser un lierre sur un arbre planté au milieu de votre champ et vous pourrez avoir une tour de condensation de l’eau qui va venir irriguer toutes les cultures. Ce cycle-là, il est essentiel. Le chercheur russe qui a fait sa thèse sur les courants d’air dit que, s’il n’y a pas çà, le système ne fonctionne pas. Et pour qu’il y ait ça, qu’il capte bien l’eau, on a deux façons de faire: soit attendre 250 à 300 ans qu’une nouvelle forêt primaire apparaisse et que ce système se mette en place, soit aller un petit peu plus vite et essayer de mettre en place des structures de cette nature-là qui puissent permettre de condenser l’eau. Si on le fait, on récupèrera, comme je le fais à la maison, 2 millimètres d’eau tous les soirs, quelquefois 3 millimètres d’eau, 4 millimètres d’eau, déjà de l’eau pour nous, pour notre jardin, pour les plantes que l’on aime. Et si on était beaucoup à le faire, en fait on pourrait avoir une influence sur les grands courants d’air. On a une grande responsabilité à le faire chez nous, le faire en dix ans, sans attendre 250 ans que ça arrive tout seul, au moins expérimenter des formes, des patterns, des façons de penser, d’organiser nos espaces, et apprendre ensemble sur la façon de le faire, sur la façon dont nos écosystèmes vont s’hydrater. Mais pour savoir si ça s’hydrate bien, il y a bien sûr le résultat final, que ça résiste, que ça supporte la canicule ou non, comment ça évolue. Toute à l’heure, il faisait 37°C dehors, mais le soir venant, la fraîcheur est en train de tomber, on va tous avoir envie de se mettre une petite laine. Pour un être à 37°C, il va y avoir un moment où, nous aussi, on va sentir ce petit froid arriver. Mais pour des plantes beaucoup plus froides, cela va arriver bien plus vite. Les plantes sont nos alliées.

La digestion des champignons crée de l’eau (Saprophyte sur litière de feuilles et branches de chêne, Anglet)

6ème cycle de l’eau: digestion des champignons

C’est le plus improbable: c’est celui du feu. Vous l’avez peut-être entendu dans les informations catastrophiques des grands médias, lorsqu’il y a eu ces grands incendies en Australie. Ils ont généré des nuages qui sont maintenant tombés en eau, mais comme ils sont chargés de poussières comme dans les éruptions volcaniques, ça a généré plein d’éclairs qui ont enflammé encore plus des forêts, malgré le fait qu’il y ait eu beaucoup d’eau qui tombait. Et vous savez que lorsqu’on brûle du bois, lorsqu’on brûle du pétrole, lorsqu’on brûle du charbon, lorsqu’on brûle du gaz, ça dégage de la chaleur, c’est ce qu’on veut, du gaz carbonique, c’est ce qu’on commence à regretter, et puis, et puis, de la vapeur d’eau. En le brûlant vite, mais qu’est-ce qui se passe quand le bois brûle lentement ? Un bois, ça peut brûler lentement, mais comment ça ? Grâce aux champignons ! Ces fameux champignons saprophytes ! ça leur profite beaucoup ! Un champignon qui digère du bois, c’est comme nous quand on digère notre propre graisse, on dit qu’on « brûle de la graisse », et cette graisse, elle se transforme en chaleur et en eau. Eh bien quand du bois se décompose par l’action d’un champignon, c’est à peu près la même chose. Le bois se transforme en chaleur, en énergie que le champignon va utiliser, et en eau. Et ce qui est étonnant, c’est que cette eau de combustion, ce n’est pas l’eau qu’il y a dans le bois, c’est de l’eau qui est issue de l’oxygène de l’air qui réagit avec l’hydrogène qu’il y a sur les hydrates de carbone, donc les sucres, la lignine, la cellulose. Et cette eau qui apparaît à ce moment-là, c’est de l’eau nouvelle, de l’eau qui n’est pas issue du cycle de l’eau, mais si c’est de l’eau qui permet d’avoir tout ça, c’est une eau qui n’a jamais existé sur Terre, puisqu’elle est formée d’atomes d’hydrogène qui brûlent avec un peu d’oxygène, de l’eau nouvelle, de l’eau vierge, de l’eau qui n’a aucune information en elle, de l’eau pure. Il y a des expérimentations menées en Suisse qui nous montrent qu’à l’échelle d’un bassin versant forestier, une forêt gérée à la méthode suisse, donc un peu carrée quand même, eh bien environ 15% de l’eau qui sort des sources, c’est cette eau vierge, cette eau nouvelle, cette eau qui n’existait pas avant et qui se crée par le fait de brûler: le feu crée l’eau ! Alors lorsqu’on brûle du bois, on devrait être noyé sous un déluge d’eau ! Eh bien non parce qu’en fait, le contraire de ce phénomène, c’est le cycle suivant de l’eau qui est le cycle de la photosynthèse.

La photosynthèse crée de l’eau (Noisetier, Anglet)

7ème cycle de l’eau: photosynthèse

Alors, puisqu’on dit que la photosynthèse, c’est l’exact opposé de la digestion du bois, ça doit transformer de l’eau en oxygène et hydrogène, pour qu’il y ait une espèce d’équilibre thermodynamique de la quantité d’eau sur Terre. Et en fait, c’est ce qui se passe théoriquement: chaque fois qu’une molécule de gaz carbonique est prélevée dans l’atmosphère et que l’hydrogène de l’eau est fixé sur cette molécule, tandis que l’oxygène de l’eau se retrouve dans l’atmosphère, eh bien ça transforme du gaz carbonique en sucre. Donc on a l’exact inverse avec la conservation hydrodynamique de notre eau: autant d’eau qui se crée que d’eau qui se décompose. Sauf que, par un grand mystère, la réaction de photosynthèse n’est pas aussi simple que ça. Quand on la met en équation, on voit que pour créer une molécule de sucre avec 6 atomes de carbone, il y a 3 molécules d’eau qui sont incluses dans le système de la photosynthèse, 3 autres molécules d’eau qui servent à des réactions annexes on va dire, et 6 molécules d’eau qui sont créées en plus par la même réaction. C’est-à-dire qu’il y a une génération d’eau, de nouvelles molécules d’eau par les plantes. Plus il y a de photosynthèse, plus il y a d’eau. Ces travaux sont ceux d’un grand ami, Ernst Zürcher. Ernst nous dit que partout où elle le peut, la Terre appelle un arbre. L’eau c’est la vie, il y a besoin d’un petit peu d’eau pour démarrer ce grand mystère de la vie. Mais au fur et à mesure de l’évolution, du Big Bang jusqu’à aujourd’hui, plein de processus différents se sont mis en place qui permettent à la vie de générer de l’eau, les spores des champignons, les composés volatils des arbres, le bois qui se décompose, la photosynthèse, et tous ces phénomènes concourent à hydrater notre Terre, à hydrater nos vies, et finalement à mettre plus de vie dans nos vies. L’eau est un miracle. La Vie est belle !

Prunier à mirabelles (Anglet)
Les 7 cycles de l’eau
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