Expérience au jardin

Petite faune du jardin: Fauvette à tête noire au bas de la mangeoire fixée au palmier et nichée de Merle noir dans la haie de thuyas (mars 2023)

Le choc

Depuis une semaine, je suis sous le choc. Sous couvert d’un arrêté préfectoral du 21 novembre 2022 s’appuyant sur l’article 134-6 du Code forestier promulgué en 2012, la ville d’Anglet vient de distribuer le 9 juin 2023 à ses administrés un courrier accompagné d’une brochure détaillée faisant état de l’obligation légale de « débroussaillement » imposée à la commune. En voici le motif : « Le feu de forêt est un risque majeur identifié pour la ville d’Anglet compte tenu des nombreux boisements et forêts présents sur le territoire« . Cette mesure fait suite à l’unique incendie qui s’est produit le 30 juillet 2020 dans la pinède située sur les dunes de Chiberta, à l’extrémité nord de la ville, dans l’angle formé par les plages et l’Adour à son embouchure. Il a eu pour cause un geste criminel dont la portée a été aggravée par une forte sécheresse estivale et un vent du sud soufflant en tempête.

Contradictions

Pourtant, il est désormais de notoriété publique que les effets délétères du changement climatique, notamment la canicule et la sécheresse, mais également les précipitations très brutales et très abondantes, nécessitent une adaptation des villes qui passe par leur végétalisation. Je m’attends à recevoir un nouveau courrier de la mairie préconisant les mesures à prendre pour se prémunir des fortes chaleurs. L’an passé, elles consistaient – pour les personnes à risque (retraités, malades, femmes enceintes, jeunes enfants…) – à rester claquemuré chez soi en journée, volets fermés, s’humecter et boire en abondance. Mais en l’absence d’une isolation suffisante et d’un système de climatisation, la température montera quand même dans bien des bâtiments, d’autant qu’il n’est pas toujours possible de créer un courant d’air entre deux façades opposées pour évacuer la chaleur.

Une ambiance de forêt vierge pour ombrager la façade sud (palmier, noisetier, fougère, acanthe, lierre) (juin 2023)

Une lecture attentive de la brochure jointe au courrier révèle que l’injonction dépasse de loin la simple notion de débroussaillement et qu’elle consiste en une éviction quasi totale de tout arbre ou arbuste dans tous les lotissements composés de petites parcelles, ou plus généralement tout bâtiment ne disposant que d’un espace très restreint sur le pourtour. Or si on supprime les arbres proches des bâtiments, qu’on élague les rescapés pour réduire leur taille et leur envergure, si on supprime les buissons, si on taille les haies en les maintenant basses et étroites, si on tond les pelouses à ras du sol, ou enfin, de façon plus radicale, si on exclut toute végétation autour des bâtiments qui ne demeurent plus cernés que par des parkings, des terrasses, des clôtures minérales ou en plastique, la climatisation naturelle devient impossible.

Des arbres fruitiers dans tout le jardin: Prunier à mirabelles semé « tout seul » à l’angle de la maison, butiné par les abeilles – Citronnier croulant sous le poids des fruits – Araignée crabe (Thomise variable) mâle dans une fleur de l’oranger planté à côté du citronnier. (avril 2023)

Expérimentation

Depuis plusieurs années, j’expérimente dans le petit jardin qui entoure ma maison. J’observe l’évolution de sa végétation et la façon dont celle-ci réagit à l’absence de tonte ou de taille systématique. J’effectue un traitement différencié selon les espaces. Ce qui était pelouse devient prairie, clairière, et pour y conserver une végétation herbacée, j’en extirpe régulièrement à la main tout jeune arbre ou arbuste qui s’y sème naturellement, soit par chute des graines des ligneux alentour, soit par leur apport par des animaux, le vent, le ruissellement ou tout autre moyen. Les herbes effectuent tout leur cycle, germent, croissent, fleurissent et produisent leurs graines avant de faner et se décomposer sur le sol. Chaque espèce le fait à son rythme, puis laisse la place à d’autres qui prennent la suite, le jardin changeant de physionomie au fur et à mesure des saisons qui se succèdent.

En ce qui concerne les haies, je les laisse croître et s’enrichir d’espèces sauvages, ne taillant que ce qui pourrait gêner mes voisins ou occulterait le soleil sur la façade sud de la maison lors de sa course la plus basse au solstice d’hiver. Enfin, je me suis prise de passion pour les arbres et arbustes fruitiers qui nécessitent nettement moins de soins qu’un potager et s’accommodent d’un environnement semi-sauvage. Je ne cesse donc d’en introduire de nouveaux et de laisser pousser ceux qui s’implantent « tout seuls » dans la mesure où ils n’empiètent pas sur l’espace enherbé. Mon objectif est également d’offrir, à mon échelle minuscule, le gîte et le couvert à la petite faune. En effet, en accroissant la diversité végétale, j’accrois du même coup la diversité animale. Année après année, les deux s’enrichissent mutuellement et je ne cesse de m’émerveiller de découvrir de nouveaux arrivants.

Clathre rouge : ce champignon à odeur de charogne attire une mouche – Ail triquètre – Syrphe ceinturé sur une fleur d’oranger – Myrtilles (fruits et fleurs) – Xylocope (abeille charpentière) ? – Punaise entre des fleurs d’oranger (Avril-mai 2023)

8 strates

En 1983, le Conseil de l’Europe a lancé un programme d’élaboration d’un standard européen de description hiérarchisée des milieux : CORINE Biotopes. Selon ces critères, je pourrais potentiellement voir se développer dans le jardin une combinaison de deux biotopes: la « Chênaie-Frênaie Pyrénéo-Cantabrique » d’une part, et la végétation composant les »Grandes Forêts Fluviales Médio-européennes » d’autre part, puisque la maison se situe dans le bassin de l’Adour, à quelques kilomètres de son embouchure. Ces forêts fluviales, dont il ne reste que des lambeaux dispersés autour du Rhin, du Danube et de l’Elbe, ne comptent pas moins de huit strates composées d’une cinquantaine d’essences d’arbres et d’arbustes, auxquelles s’ajoutent les lianes, les buissons, les herbes, les fougères, les mousses, les lichens… « Structurellement, en ce qui concerne la flore et la faune, ces écosystèmes sont les plus diversifiés de tous les écosystèmes européens et ils approchent le plus, de ce point de vue, les communautés tropicales et les forêts tempérées chaudes du Pléistocène. »

Dans le jardin, une végétation typique de bord de ruisseau forestier: Prêle, fraisier des bois, arum – Carabe splendide, coléoptère des environs pyrénéens vivant dans les forêts humides et se nourrissant d’escargots, limaces, chenilles…

Identifier et nommer

Ainsi, depuis plusieurs années, je tente de faire la connaissance avec mon environnement végétal (et un peu animal, mais c’est plus difficile) dont la composition s’enrichit et la répartition évolue au cours du temps. En effet, toutes ces plantes interagissent et leur croissance n’est pas homogène. Certains végétaux souffrent d’un voisinage par trop envahissant, d’une ombre ou d’émanations biochimiques qui deviennent à la longue délétères. A l’inverse, d’autres apprécient l’ombre qui les protège de l’insolation, de même qu’un voisinage rapproché peut offrir un rempart contre les bourrasques. En parcourant le jardin, je découvre l’existence de plusieurs micro-climats selon l’orientation, la qualité du sol, la pente, le degré d’ensoleillement et d’humidité, la composition et l’implantation des végétaux…

Mirabelles bientôt mûres – Écureuil à la mangeoire à oiseaux – Mésange bleue et sittelle torchepot

Par le simple fait d’une moindre pression de tonte et de taille, tout un monde s’éveille et surgit de terre, c’est extraordinaire ! J’y ajoute mon grain de sel, introduisant par ci, par là, de nouveaux plants qui influent à leur tour sur l’équilibre du jardin, toujours instable, jamais définitif. Face à une telle exubérance, je suis parfois contrainte de réduire la pression de végétaux par trop dynamiques, comme les ronces (dont j’adore les mûres et qui offrent le gîte et le couvert à beaucoup d’animaux) ou le chèvrefeuille qui se prend parfois pour un figuier étrangleur des forêts équatoriales, ou encore le laurier sauce qui, si on le laissait libre de se répandre, reconstituerait vite fait au Pays basque la lauracée originelle du pourtour méditerranéen.

Le pic vert est un oiseau des lisières boisées, ici perché sur le chêne au fond du jardin. Le chardonneret élégant niche dans des arbres ou des arbustes élevés à proximité de strates herbacées denses où il mange une grand variété de graines (photographié devant la mangeoire).

Pour des néophytes comme moi, l’identification devient de plus en plus aisée grâce à Internet et, depuis peu, par le biais d’applications sur les téléphones portables. Mais notre petit coin de Pays basque offre la difficulté supplémentaire d’un climat propice à la vie de plantes émanant du monde entier, dont certaines ont une propension à la colonisation active et s’introduisent dans mon jardin sans vraiment y avoir été invitées. Il faut donc ajouter aux listes des deux biotopes précités des végétaux importés à diverses époques au gré des modes successives et qui se sont échappés des espaces verts municipaux ou des jardins des particuliers.

L’accenteur mouchet affectionne les buissons denses et les fourrés, insectivore l’été et granivore l’hiver. La mésange bleue vit dans les forêts de chênes et tout paysage arboré, insectivore l’été et granivore l’hiver.

Enfin, un troisième facteur vient perturber la donne. Il s’agit du changement climatique. Alors que bien des plantes mouraient autrefois en raison de températures hivernales trop basses ou d’une pluviosité trop abondante répartie sur toute l’année, ce n’est plus guère le cas aujourd’hui. Elles doivent désormais s’adapter à des hivers très doux, des pluies peut-être identiques en volume, mais dont le régime se rapproche de caractéristiques méditerranéennes, violentes, ponctuelles et abondantes, encadrées par de longues périodes de sécheresse et des canicules autrefois inconnues de notre région théoriquement tempérée par le voisinage de l’océan. Enfin, des tempêtes plus fortes et plus fréquentes s’abattent sur les côtes européennes et viennent mettre en péril les arbres fragilisés par ces nouvelles conditions. Si bien des végétaux souffrent, tout un petit monde de micro-organismes, champignons et insectes se trouve favorisé au contraire par ces évolutions et se multiplie à qui mieux mieux, de nouvelles pathologies apparaissent sans laisser le temps aux végétaux de s’y adapter. Il faut donc accompagner l’évolution de nos paysages et réfléchir à l’implantation d’espèces mieux armées pour résister à ces nouvelles contraintes.

Le fragon petit-houx, fleur et fruit, plante des bois clairs, des haies, des friches : il s’est semé dans la zone humide et ombragée du jardin, près des noisetiers et du houx apparus aussi spontanément.

La goutte d’eau du colibri

J’aime bien l’histoire du minuscule colibri qui, alors qu’un immense incendie embrasait la forêt, s’évertuait à l’éteindre en faisant mille aller-retour pour y déverser à chaque passage la petite goutte qu’il portait dans son bec. Si chacun de nous, et chaque ville, se mettait à densifier au contraire au maximum la végétation autour des habitations et des bâtiments, il y aurait davantage d’ombre, davantage d’humidité, les îlots de chaleur urbains disparaîtraient, les gens auraient plaisir à se déplacer à pied ou à vélo, ils utiliseraient moins leur voiture sur les courtes distances. Mieux encore, le retour à une couverture arborée dense sur les montagnes et à un paysage de bocage dans les campagnes européennes pourrait réguler l’apparition des nuages générateurs de pluie…

Millepertuis androsème, plante de sous-bois et lisière ombragée, dans les aulnaies, les bords ombragés des cours d’eau. Dans le jardin, elle pousse non loin d’un aulne, semé tout seul, parmi la prêle et les fougères de zone humide.

Liste provisoire des plantes du jardin (100 espèces végétales)

Arbres et arbustes (37 espèces) : 2 grands chênes pédonculés, 1 aulne, érable sycomore, frêne à feuilles étroites (méditerranéen), laurier sauce (méditerranéen), noisetier, houx, 1 aubépine, 2 troènes, 1 viorne obier, 2 troènes, 1 buis, 2 lilas, 5 pruniers (dont 3 spontanés, mirabelliers), 7 figuiers (méditerranéen), 2 arbousiers (Méditerranée et Amérique du Nord-Ouest), 1 mûrier noir (spontané, Asie occidentale), thuya (Canada ?), 1 Pittosporum tobira (Japon), 1 mimosa (Australie), palmiers chanvre (Trachycarpus fortunei, Chine), althéa (Chine, Taïwan), 1 forsythia (Chine, Japon, Corée, Mandchourie), Abélia (Chine), 1 camélia nain (Extrême-Orient), Lagerstroemia indica (Chine), 1 corête du Japon, 1 Weigélia (Chine, Japon, Corée), 3 spirées van Houtte (Chine, Mongolie), 1 pêcher (Chine), 1 citronnier (Cachemire), 1 oranger (Chine), 1 mandarinier (Chine), 1 kumquat (Asie), cognassiers du Japon, avocatiers (Amérique tropicale), albizia (de l’Iran à la Chine)…

Arbousier, lychnis fleur de coucou, violette

Petits ligneux (16 espèces) : fragon petit-houx, millepertuis androsème, framboisiers, groseillier, myrtillier, romarin, lavande, 2 verveines citronnées, 1 sauge, rosiers, azalées (Japon, Corée), hortensias (Chine, Japon), 1 physalis (Pérou), escallonia (Amérique du Sud), cotonéaster (Chine), yucca (Amérique centrale et du Sud)…

Lianes (12 espèces) : lierre, chèvrefeuille, clématite des haies, ronce, gaillet gratteron, liseron, tamier commun, 1 vigne, 1 jasmin (plante tropicale Inde et Chine), passiflore (Amérique du Sud), 1 glycine (Chine, Japon, Corée et Etats-Unis centre et sud), 1 kiwi hermaphrodite (Chine)…

Bugle rampante – Consoude tubéreuse

Herbacées (33 espèces reconnues, mais il y en a bien plus à identifier) : Consoude tubéreuse (sauvage, à fleurs jaunes), Consoude officinale (à fleurs violettes), 1 bourrache, prêle, fraisier des bois, fraisier des Indes (Potentilla indica), primevère, violette, ficaire, arum d’Italie, pissenlit, bouton d’or, marguerite, lychnis fleur de coucou, jacinthe des bois, centranthe rouge, trèfle blanc, trèfle pourpre, luzerne, oseille commune (rumex acetosa), plantain lancéolé, avoine, mousse, fougères (scolopendre, asplenium, Polystic à soies ou Dryoptéris), iris, véronique, bugle rampante, acanthe, sureau hièble, crocosmia (Afrique du Sud), souchet rond (graminée, Inde)…

Luzerne

Commentaire de Éliane R.

Quand je suis parmi vous, arbres de ces grands bois,
Dans tout ce qui m’entoure et me cache à la fois,
Dans votre solitude où je rentre en moi-même,
Je sens quelqu’un de grand qui m’écoute et qui m’aime !Victor Hugo, Les contemplations, extrait du poème « Aux arbres

Amicalement

Expérience au jardin

5 commentaires sur “Expérience au jardin

  • 16 juin 2023 à 6 h 03 min
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    une fois enfermé le pyromane, le risque de revivre un incendie dépend essentiellement de l’entretien de la forêt de Chiberta jusque là négligé par ses 3 co responsables dont la mairie d’Anglet qui rêve d’imposer un déboisement là où il n’est pas nécessaire.
    Dommage que Cathy ne soit pas élue.
    C’est toujours mieux d’être dirigé par quelqu’un de compétent et accessoirement intègre

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  • 16 juin 2023 à 7 h 18 min
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    Bonjour Cathy,
    Quelle richesse végétale et animale!
    Je retrouve dans tes descriptions des espèces que j’ai également dans mon jardin et des plantes qui poussent « spontanément » car je jardine un peu moins qu’avant.
    Tes descriptions si précises me font prendre conscience d’être plus attentionnée dans mon propre jardin qui est assez humide à cause des chênes. Je le verrai d’un autre oeil.
    Je te remercie pour cet excellent document.
    Amicalement
    Marie-France

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  • 16 juin 2023 à 15 h 19 min
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    Bonjour Cathy,
    je suis entiérement d’accord avec ton analyse. Que faire ? nous sommes gouvernés par la bêtise et l’incompétence ! sous le prétexte de l’écologie on fait n’importe quoi ! La raison n’a plus court ni donc la logique. Tout cela est fort dommageable pour notre belle nature et tous ceux qui l’aiment et la respectent!
    Garde ton jardin, il est magnifique…

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  • 17 juin 2023 à 8 h 06 min
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    Merci Cathy
    Encore une fois des décisions prises sur le coup de l’émotion dans la précipitation sans aucune réflexion.
    Que restera-t-il de ce genre de gouvernance?

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  • 19 juin 2023 à 8 h 26 min
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    Votre jardin est une pure merveille , bravo et courage pour résister encore et toujours

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